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L’histoire pour le plaisir

Lucius Cornelius Balbus

samedi 8 août 2020, par lucien jallamion

Lucius Cornelius Balbus (vers 100 av. jc- ?)

Natif de Gadès [1] en Espagne, personnalité de la fin de la République romaine. Il acquiert la citoyenneté romaine en 72 av. jc et devient consul suffect [2] en 40 av. jc.

Il appartient à une puissante famille d’origine punique [3] enrichie par le commerce. Il mérite par ses services rendus à Pompée le titre de citoyen romain en 72 av. jc. Ce titre lui ayant été contesté, Cicéron prononce en sa faveur un discours que nous possédons encore. Sa carrière remarquable comme homo novus [4] en fait un précurseur de l’intégration des élites provinciales dans le monde politique romain, devenant le premier provincial à atteindre le consulat.

Le nom d’origine de Balbus avant son intégration dans la citoyenneté romaine n’est pas connu. Il est originaire de Gadès, l’actuelle Cadix, port prospère rallié à Rome durant la deuxième guerre punique [5], début d’une relation privilégiée entre cette cité et Rome. Selon Cicéron, il appartient à une des familles les plus distinguées de la ville.

Il a un neveu, Lucius Cornelius Balbus Minor , lui aussi partisan de Jules César, et qui est le premier provincial et le dernier simple citoyen à avoir le privilège d’un triomphe à Rome en 19 av. jc. Il est aussi le premier provincial admis dans le collège des pontifes [6].

Balbus s’engage en 75 av. jc dans les armées de Pompée qui mène la guerre contre Quintus Sertorius. Il se fait remarquer par ses qualités lors de deux batailles sous le commandement de Quintus Caecilius Metellus Pius et de Caius Memmius , Poète et beau-frère de Pompée. Il se lie d’amitié avec Lucius Cornelius Lentulus Crus, qui le présente à Pompée. Après le rétablissement de la paix en 72 av. jc, celui-ci lui décerne le titre de citoyen romain pour ses services rendus. Il est probable que Balbus pris alors le prénom Lucius et le gentilice Cornelius de son parrain. Sa richesse a le niveau suffisant pour qu’il soit inscrit à l’ordre équestre [7].

Balbus fait la connaissance de Jules César dans sa jeunesse, probablement en 69 av. jc lors de la questure [8] de César, durant laquelle ce dernier séjourne à Gadès.

De retour en Espagne en 62 av. jc comme préteur [9], César confie à Balbus la fonction de praefectus fabrum [10], chargé de la logistique et de l’intendance de la première campagne de César. À son retour à Rome, César est accompagné de Balbus, qui fait désormais partie de son cercle d’hommes de confiance qui préparent sa montée politique. Ami de Pompée, Balbus prend part à l’organisation du premier triumvirat [11], et contacte Cicéron pour qu’il s’y associe, mais Cicéron reste sur la réserve.

Après son consulat en 59 av. jc, Jules César charge Balbus de la gestion de ses affaires pendant son absence en Gaule. Durant cette absence, Balbus continue d’agir pour maintenir de bonnes relations entre César et Cicéron, et soutient les demandes de postes dans l’armée de César que formule Cicéron pour son frère Quintus et son ami Trebatius Testa .

En 56 av. jc, les adversaires politiques de César l’attaquent indirectement en visant Balbus, ils font contester sa citoyenneté romaine pour un vice de droit complexe, affirmant que le statut d’alliance de Gadès avec Rome rend impossible cette naturalisation. Balbus est défendu par Pompée, Crassus et par Cicéron, qui parle en dernier et prononce son Pro Balbo. La contestation est rejetée.

Lorsque le triumvirat se délite, avec la mort de Julia en 54 av. jc, fille de César et épouse de Pompée, puis celle de Crassus en 53 av. jc, et que la situation politique à Rome devient plus tendue, Balbus renforce la confidentialité de ses échanges avec César : il effectue des aller-retours en Gaule pour des entrevues directes tandis qu’ils communiquent par des courriers en partie cryptés.

L’année 50 av. jc voit le commencement de la crise ouverte entre César et ses adversaires au Sénat. César achète des appuis à Rome en épongeant les dettes du tribun de la plèbe [12] Curion et en finançant la réfection de la basilique AEmilia [13] menée par le consul Lucius Aemilius Paullus. Rappelant que Cicéron s’inquiète du remboursement de dettes contractées auprès de César qui pourrait lui réclamer l’homme de Tartessos, c’est-à-dire Balbus,

Son action ne se limite pas à ce rôle de banquier occulte, il multiplie les contacts politiques, rencontre Mettelus Scipion, beau-père de Pompée et adversaire de César, appuie la demande de Cicéron pour que le Sénat lui accorde une supplicatio [14] d’action de grâces pour ses succès militaires en Cilicie [15] et remet au pas Curion qui s’y oppose.

Pendant la période des guerres civiles [16] entre 49 et 45 av. jc, César laisse Balbus et Caius Oppius, un autre chevalier, gérer les affaires à Rome. Ce rôle d’éminence grise transparaît dans des lettres de Cicéron : ainsi celui-ci prie-t-il Atticus d’intervenir en sa faveur auprès de Balbus, pour lui permettre de regagner Rome. Pardonné par César, il s’adresse ensuite à Balbus lorsqu’il veut obtenir une grâce pour Cecina, un ancien pompéien temporairement autorisé à résider en Sicile.

Cicéron sollicite de même Balbus en faveur d’anciens opposants de César. Le rôle de Balbus ne se limite pas à celui de médiateur : il assure la gestion des finances de César en son absence. Lorsqu’en 45 av. jc, le banquier Cluvius décède et lègue ses biens à Cicéron, à César et à deux autres légataires, Balbus liquide cet héritage et le partage des biens, en accord avec César. Enfin dès son retour définitif à Rome en septembre 45, César s’enferme pour passer en revue sa comptabilité, avec Balbus selon la supposition de Cicéron.

Si son état de santé, une douleur au pied identifiée par les historiens comme une crise de goutte, empêche Balbus de prendre une part active à la préparation des festivités organisées pour le retour à Rome de César, il reste auprès de lui-même dans les occasions officielles. Son influence est dénoncée lors d’une maladresse qui rend César impopulaire : alors qu’une délégation de sénateurs vient lui présenter une série de décrets pris en son honneur, César reste assis, au lieu de se lever comme le veut le respect dû au Sénat. Tandis que Suétone suppose que Balbus a pu retenir César, Plutarque plus catégorique affirme que Balbus l’a incité à manifester ainsi sa supériorité.

Après l’assassinat de César aux Ides de Mars [17], Balbus est selon Cicéron impopulaire et malade, souffrant d’accès de goutte. Il prend du recul et séjourne en Campanie [18], où il rencontre le 19 avril 44 av. jc le jeune Octave qui revient de Grèce pour faire valoir les dispositions du testament de César qui font de lui son fils adoptif et un de ses héritiers. Balbus accompagne Octave à Rome, et tient régulièrement Cicéron au courant des événements.

À la fin de l’année 40 av. jc, Octavien et Marc Antoine destituent les consuls et les préteurs en titre, et nomment deux consuls suffects, dont Balbus, pour les quelques jours qui restent dans l’année. Balbus devient ainsi le premier provincial à obtenir cette magistrature, quoique de façon secondaire, mais dont Pline l’Ancien souligne le prestige.

La date de sa mort n’est pas connue. En 32 av. jc, il est au chevet de Pomponius Atticus mourant, on ne sait plus rien sur lui passée cette date.

Selon l’historien Dion Cassius, il surpasse tellement en richesses et en munificence les hommes de son temps, qu’en mourant il lègue aux Romains environ 25 drachmes par tête. Tacite juge qu’il est le premier chevalier que la volonté d’un homme, Jules César, érige en négociateur de la paix et en arbitre de la guerre

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de Yann Le Bohec, L’Afrique romaine de 146 avant J.-C. à 439, Paris, Picard, 2005.

Notes

[1] l’actuelle Cadix, port prospère rallié à Rome durant la deuxième guerre punique

[2] Parfois, un consul décède ou démissionne avant la fin de son mandat de douze mois. Le consul restant rétablit la collégialité par l’élection intermédiaire si le délai restant le permet ou par la désignation directe d’un consul suffectus (du participe passé du verbe sufficere, « remplacer »). Ce consul entre en fonction immédiatement, il a les mêmes privilèges et les mêmes pouvoirs que le consul remplacé mais il n’est en charge que pour la durée du mandat qui reste à couvrir. Enfin, le consul suffect ne donne pas son nom à l’année, à l’inverse du consul dit ordinaire.

[3] Les Puniques sont restés en contact avec la Phénicie ou ses territoires jusqu’à la destruction de Carthage par la République romaine, en 146 av. jc.

[4] Homo novus (« homme nouveau » ; pluriel : homines novi) est une expression latine désignant dans l’Antiquité romaine, particulièrement sous la République, un citoyen dont aucun aïeul n’a occupé quelque charge publique que ce soit (consulat, préture, questure, édilité, ...) et qui occupe pour la première fois une telle charge alors qu’il n’est pas issu de la noblesse.

[5] La deuxième guerre punique de 218 à 202 av. jc est le deuxième des trois conflits connus sous le nom de guerres puniques, qui opposent Rome à Carthage.

[6] Dans la Rome antique, pontifex maximus (grand pontife) est le titre donné au grand prêtre à la tête du collège des pontifes. Ce titre est le plus élevé de la religion romaine. Les pontifes sont chargés de l’entretien du pont sacré (pont Sublicius) et de surveiller la bonne observance des pratiques religieuses. Ils s’occupent aussi des temples ne disposant pas de clergé propre. Le recrutement des pontifes se fait par cooptation et la charge de pontife est exercée à vie. Cette fonction a varié selon les époques. Dans la plupart des cas, le grand pontife n’a d’autre insigne qu’un simpulum ; cependant, quelquefois une securis ou une secespita s’y ajoute, c’est-à-dire les instruments pour le sacrifice rituel.

[7] Les chevaliers sont un groupe de citoyens de la Rome antique appartenant à l’ordre équestre (equester ordo), sous la Royauté, la République et l’Empire. Choisis par les censeurs, ce sont les plus fortunés (au moins 400 000 sesterces du 2ème siècle av. jc, jusqu’au début de l’Empire) et les plus honorables des citoyens (en dehors des sénateurs). Cette appartenance pouvait être théoriquement remise en cause à chaque censure. En pratique elle était héréditaire. Le chevalier se reconnaît à la bande de pourpre étroite cousue sur sa tunique (tunique dite angusticlave), et au port de l’anneau d’or. Les chevaliers se virent attribuer un poids politique supplémentaire au motif qu’ils étaient capables financièrement de s’équiper pour servir dans l’armée à cheval. De plus l’appartenance à l’ordre équestre était nécessaire pour accéder aux postes d’officier dans l’armée.

[8] Dans la Rome antique, les questeurs sont des magistrats romains annuels comptables des finances, responsables du règlement des dépenses et de l’encaissement des recettes publiques. Ils sont les gardiens du Trésor public, chargés des finances de l’armée et des provinces, en relation avec les consuls, les promagistrats et les publicains. Maintenue sous le Haut Empire avec son rôle comptable, cette fonction se réduit sous le Bas-Empire à une magistrature honorifique et coûteuse exercée uniquement à Rome.

[9] Le préteur est un magistrat de la Rome antique. Il était de rang sénatorial, pouvait s’asseoir sur la chaise curule, et porter la toge prétexte. Il était assisté par 2 licteurs à l’intérieur de Rome, et 6 hors du pomerium de l’Urbs. Il était élu pour une durée de 1 an par les comices centuriates. La fonction de préteur fut créée vers 366 av. jc pour alléger la charge des consuls, en particulier dans le domaine de la justice. Le premier préteur élu fut le patricien Spurius Furius, le fils de Marcus Furius Camillu. Égal en pouvoir au consul, auquel il n’a pas de compte à rendre, le préteur prêtait le même serment, le même jour, et détenait le même pouvoir. À l’origine, il n’y en avait qu’un seul, le préteur urbain, auquel s’est ajouté vers 242 av. jc le préteur pérégrin qui était chargé de rendre la justice dans les affaires impliquant les étrangers. Cette figure permit le développement du ius gentium, véritable droit commercial, par contraste avec le ius civile applicable uniquement aux litiges entre citoyens romain. Pour recruter, pour former ou pour mener des armées au combat ; sur le terrain, le préteur n’est soumis à personne. Les préteurs ont aussi un rôle religieux, et doivent mener des occasions religieuses telles que sacrifices et des jeux. Ils remplissent d’autres fonctions diverses, comme l’investigation sur les subversions, la désignation de commissionnaires, et la distribution d’aides. Lors de la vacance du consulat, les préteurs, avant la création des consuls suffects, pouvaient remplacer les consuls : on parle alors de préteurs consulaires.

[10] préfet des ouvriers

[11] Le premier triumvirat est une alliance politique privée de la fin de la République romaine rassemblant Jules César, Crassus et Pompée le Grand.

[12] Dans la Rome antique, les tribuns de la plèbe sont les représentants de la plèbe. Ils ne représentent pas le populus dans son entier, puisque la plèbe est le populus (l’ensemble du peuple de Rome, comprenant tous les citoyens de toutes les classes) sauf les patriciens.

[13] La basilique Æmilia ou basilique émilienne (en latin : basilica Æmilia), nommée aussi basilique Paulli (basilica Paulli) ou basilique Fulvia (basilica Fulvia), est une basilique romaine, située du côté du nord du Forum Romain. Sa construction date de 179 av. jc mais elle a été plusieurs fois modifiée depuis. Ses ruines sont encore visibles aujourd’hui.

[14] La supplicatio est une cérémonie de la religion romaine, qui avait lieu dans des occasions particulières sur décision du Sénat, qui en fixait les modalités et la durée.

[15] La Cilicie est une région historique d’Anatolie méridionale et une ancienne province romaine située aujourd’hui en Turquie. Elle était bordée au nord par la Cappadoce et la Lycaonie, à l’ouest par la Pisidie et la Pamphylie, au sud par la mer Méditerranée et au sud-est par la Syrie. Elle correspond approximativement aujourd’hui à la province turque d’Adana, une région comprise entre les monts Taurus, les monts Amanos et la Méditerranée.

[16] La guerre civile de César, appelée aussi guerre civile romaine de 49 av. J.-C. ou guerre civile entre César et Pompée, est un des derniers conflits intérieurs de la République romaine, et fait partie de la liste des nombreuses guerres civiles romaines. Elle a consisté en une série de heurts politiques et militaires entre Jules César, ses alliés politiques et ses légions d’une part, et la faction conservatrice du Sénat romain, appelée aussi optimates, épaulée par les légions de Pompée d’autre part.

[17] Les ides de mars correspondent au 15 mars dans le calendrier romain. C’était un jour festif dédié au dieu Mars. Jules César fut assassiné aux ides de mars en 44 avant Jésus-Christ, sans avoir tenu compte des prédictions de l’haruspice étrusque Titus Vestricius Spurinna et du rêve de sa femme Calpurnia Pisonis.

[18] La région de Campanie, plus couramment appelée la Campanie, est une région d’Italie méridionale. Elle fut associée au Latium, une des 11 régions de l’Italie romaine créées par l’empereur Auguste au 1er siècle av.jc Érigée en province à part entière au début du 4ème siècle au temps de l’empereur Dioclétien, la Campanie fut ensuite sous domination lombarde puis byzantine. Elle fut ensuite morcelée par l’indépendance que quelques-unes de ses villes adoptèrent.