L’Égypte des pharaons a prospéré pendant près de 3 millénaires. Aucun autre État ni aucune autre civilisation ne peut en dire autant... Elle doit en bonne partie sa longévité et sa grandeur à son environnement géographique : une vallée fertile isolée par le désert.
Le voyageur grec Hérodote, découvrant le royaume des pharaons sur son déclin, a pu écrire avec justesse : L’Égypte est un don du Nil.
Vers 6500 av. jc, le Sahara précédemment fertile se transforme en désert. Ses habitants cherchent leur survie en se regroupant sur les bords du Nil [1]. Né au sud, dans les montagnes d’Éthiopie [2], le fleuve coule vers la Méditerranée, au nord, en traversant le désert sur plus de 1000 kilomètres.
Tous les ans, en septembre, gonflé par la fonte des neiges d’Éthiopie, il sort de son lit et inonde sa vallée. En se retirant, au mois de décembre, il laisse dans la vallée un limon très fertile. Il s’agit de la terre arrachée aux hauts plateaux d’Éthiopie.
Les paysans de la vallée arrivent très vite à tirer le meilleur parti des crues du fleuve. Grâce au limon, ils obtiennent en un temps record d’abondantes récoltes de céréales. Ces résultats sont rendus possibles grâce à une mise en commun des efforts de tous et à des règles strictes pour le partage des terres et l’entretien des canaux d’irrigation et de drainage.
Dans le delta [3], encore en grande partie sauvage, les habitants pratiquent la chasse et la pêche. Ils récoltent aussi le papyrus [4], un roseau avec les fibres duquel ils fabriquent des feuilles souples qui leur servent de support d’écriture.
Dans la vallée, on cultive essentiellement les céréales, à commencer par l’orge.
La terre molle reçoit directement les grains, mis en terre soit par un araire [5] ou une houe [6], soit plus simplement foulés par des troupeaux qu’on laisse déambuler à cette fin.
Les céréales fournissent la base de l’alimentation : le pain issu des bouillies de céréales et la bière produite par la fermentation spontanée de l’orge.
Il semblerait que les Égyptiens soient aussi à l’origine de l’invention du foie gras. Il sont aussi très friands de gâteaux au miel et aux dattes, à en juger par les dépôts destinés à accompagner les défunts dans leur dernier voyage.
Pendant la crue du fleuve, quand il est impossible de travailler dans la vallée, les paysans se mettent au service de l’administration centrale et construisent des canaux d’irrigation, des digues mais aussi des temples, des palais et des tombeaux. Ainsi naît le premier État de l’Histoire.
Une exceptionnelle stabilité de l’État
La vallée du Nil [7] et son delta [8] sont unifiés sous l’autorité d’un roi désigné sous le terme de pharaon vers l’an 3100 av. jc, peut-être même vers l’an 3300 av. jc.
Le pharaon est le garant de l’ordre social indispensable à la gestion des crues. Il est assisté par de nombreux fonctionnaires et des scribes [9] sélectionnés pour leur maîtrise de l’écriture.
Certains archéologues pensent que les besoins administratifs sont à l’origine de l’écriture égyptienne, à base d’hiéroglyphes [10], à peu près contemporaine de l’écriture cunéiforme de Mésopotamie.
La redéfinition des champs après chaque crue donne l’occasion de développer la géométrie et les techniques d’arpentage.
Comme les hommes de cette lointaine époque ignorent la monnaie, c’est en nature [11] que les fonctionnaires collectent les impôts auprès des paysans pour développer les infrastructures.
Protégée par son isolement, entre le désert et la mer, l’Égypte des pharaons perdure comme État indépendant pendant 25 siècles, en cultivant peu ou prou les mêmes coutumes, les mêmes croyances et la même langue.
La prospérité générale profite à la minorité privilégiée (fonctionnaires, clergé, entourage du pharaon). Elle conduit aussi au développement d’une civilisation aimable dont les fresques des tombeaux royaux ne nous donnent qu’une imparfaite image.
Excellents jardiniers et observateurs de la Nature, les Égyptiens sont à l’origine de notre calendrier solaire.
Ils développent une médecine et une chirurgie remarquables. Ainsi le pain moisi est-il utilisé pour soigner les plaies.
Leurs praticiens se montrent habiles dans la trépanation du cerveau comme dans les opérations de l’oeil et leur réputation s’étend jusqu’en Perse. Les chroniques relatent le cas de princesses achéménides [12] venues se faire soigner sur les bords du Nil.
Ils sont tout aussi habiles en mathématiques comme l’atteste le papyrus du scribe Ahmès datant du Nouvel Empire [13], avec ses problèmes et leur solution.
S’ils connaissent les métaux, au moins le cuivre et le bronze, les anciens Égyptiens n’en restent pas moins fidèles aux outils en silex. C’est qu’une pierre bien taillée est plus coupante et plus résistante qu’une lame en mauvais métal.
La paysannerie est essentiellement composée de paysans libres. L’esclavage, au moins dans les premiers temps, semble limité aux exploitations minières du Sinaï [14] où travaillent des captifs de guerre. Cette situation sociale va toutefois se dégrader au cours du dernier millénaire av. jc, du fait des troubles et de l’influence des Grecs, moins regardants sur l’esclavage.
Les femmes elles-mêmes semblent bénéficier d’un statut honorable dans la société pharaonique. Ainsi sont-elles généralement représentées au côté de leur époux (haut fonctionnaire ou pharaon), à la même taille que celui-ci.
La religion, ciment social
Le ciment de l’Égypte ancienne est la religion. Hérodote l’a bien compris en présentant les Égyptiens comme les plus religieux de tous les hommes. À l’origine, chaque cité avait ses propres divinités, souvent des dieux à corps humain et tête d’animal.
Avec l’émergence d’un État centralisé, ces divinités sont réunies dans une cosmogonie commune. Tous les habitants partagent la même vision de la création du monde, avec une place privilégiée pour Rê appelé plus tard Amon.
C’est le dieu Soleil, qui dispense la vie sur la Terre. Sa domination sur les autres dieux du panthéon égyptien fait dire à certains historiens que la religion des pharaons était somme toute plus proche du monothéisme que du polythéisme.
Il n’empêche que les Égyptiens accordent beaucoup d’intérêt aux divinités secondaires, y compris à des animaux divinisés comme le scarabée et le chat.
Le mythe d’Osiris
Le mythe d’Osiris est au cœur de la religion pharaonique. Ce récit forgé dans les temps les plus anciens nous a été rapporté par un écrivain grec, Plutarque.
Il raconte que le pharaon Osiris avait enseigné aux Égyptiens l’agriculture, le droit et l’architecture. Jaloux, son frère Seth l’avait enfermé dans un sarcophage et jeté dans le Nil.
Isis , épouse et sœur d’Osiris, retrouve le sarcophage et le cache dans les marais. Mais Seth découpe le cadavre de sa victime en 14 morceaux pour éviter qu’elle ne ressuscite. Isis, sans se décourager, retrouve les morceaux et les entoure de bandelettes avec l’aide du dieu chacal Anubis .
Rendu à la vie, Osiris gagne le monde des morts dont il devient dès lors le roi, cependant que son fils Horus chasse Seth du pouvoir et ceint la double couronne d’Égypte. Depuis lors, les morts, au terme d’un long voyage et sous réserve qu’ils aient été momifiés, passent devant le tribunal d’Osiris et ce dernier accorde la vie éternelle aux plus méritants. Notons que la momification reste le privilège des pharaons et de l’aristocratie ; les gens du peuple sont inhumés sans façon après leur mort.
Les rites religieux égyptiens sont organisés par un clergé nombreux et puissant auquel les offrandes des fidèles assurent richesse et influence. Les prêtres gèrent les temples somptueux et les sanctuaires où sont abritées les statues des divinités. Ils président aussi aux cérémonies funéraires et à l’embaumement des défunts.
Sous l’Ancien Empire [15], les Égyptiens tendent à penser que seuls les pharaons et leur entourage méritent d’être momifiés et d’accéder à la vie éternelle. D’où les énormes tombeaux en pierre que se font construire les premiers pharaons dans l’espoir que leur cadavre y soit conservé à l’abri des pillages et de la putréfaction.
Mais au fil des siècles, les habitants de la vallée du Nil accèdent à l’idée plus réconfortante que la résurrection est accessible à tout un chacun. À preuve les innombrables statuettes funéraires en terre cuite, retrouvées dans les tombes même les plus modestes. Elles figurent les serviteurs, les outils et les animaux destinés à servir le défunt dans l’au-delà.
Vers 2 700 ans avant jc Imhotep , n’est pas satisfait. La dalle monumentale qui recouvre le tombeau du pharaon Djéser est moins élevée que les murailles de la ville voisine de Memphis [16]. Inacceptable ! Il ordonne donc que 4 dalles similaires mais de taille décroissante soient empilées les unes sur les autres : la première pyramide vient de naître, à Saqqara [17]. Mais elle comporte encore des degrés qui rappellent les dalles d’origine, ou mastabas [18].
Après Imhotep, les architectes égyptiens vont abandonner la forme en degrés et lisser les parois des sépultures pharaoniques. Les voyageurs grecs qui les découvriront longtemps après les baptiseront pyramides.
Considérées dès l’Antiquité comme une des merveilles du monde, les 3 pyramides du plateau de Gizeh [19], dont la plus grande culmine à 146 mètres, sont longtemps restées mystérieuses jusqu’au 16ème siècle lorsque des voyageurs occidentaux purent enfin pénétrer dans ces montagnes construites sur des montagnes selon Philon de Byzance . On sait aujourd’hui qu’elles ont abrité les dépouilles des pharaons Khéops , Képhren et Mykérinos .
Merveilles de précision, les pyramides égyptiennes n’ont été édifiées que grâce à quelques outils rudimentaires. Pas de roue, encore moins de poulie pour transporter sur un sol instable puis assembler les 6 millions de tonnes de blocs qui recouvrent le tombeau de Khéops.
Inventeurs de la géométrie selon le voyageur grec Hérodote, les Égyptiens maîtrisaient parfaitement la mesure des surfaces et volumes. Mais comment passer de la théorie à la pratique ?
Extraits de carrières voisines ou convoyées sur le Nil, les blocs de calcaire, une fois taillés, étaient transportés sur des traîneaux en bois qui glissaient sur le sol mouillé, avant d’être tirées sur une rampe vers le sommet du monument.
Notons que les ouvriers à la manœuvre n’étaient pas des esclaves ou des prisonniers de guerre mais des paysans libres qui se mettaient à la disposition du pharaon pendant les crues du Nil, quand il était devenu impossible de travailler dans les champs.
Mais aujourd’hui encore on continue à s’interroger sur la façon dont les Égyptiens, certes nombreux mais dont les moyens n’avaient guère évolué depuis le Néolithique, sont parvenus à bâtir ces monuments titanesques.
Symbole, par sa majesté, de l’autorité politique de son commanditaire, la pyramide concrétise surtout la volonté de se rapprocher du monde des dieux. Il s’agit de leur signaler notre humble présence !
Quand elle n’est pas un tombeau comme chez les Égyptiens, la pyramide peut devenir un sanctuaire, avec un autel au sommet et une table des sacrifices dont l’agréable fumet séduit les divinités.
Sans entretien, peu sensible aux intempéries comme aux tremblements de terre, elle offre de nombreux atouts comme en atteste sa présence dans différentes civilisations Olmèques [20] puis Aztèques [21] du Mexique ou encore Mayas [22] se lancent dans une course à la hauteur.
Cette stratégie était déjà à l’œuvre 2 millénaires plus tôt en Mésopotamie [23], avec l’érection des ziggourats [24]. Ces impressionnantes tours de briques à degrés ont inspiré le récit biblique de la tour de Babel [25].
En attendant le perfectionnement des techniques, Grecs et Romains se montrent raisonnables dans la construction de leurs temples. Est-ce pour marquer une plus grande proximité avec leurs dieux ?
Après tout, ils ne sont pas censés avoir élu domicile dans les nuages, mais dans les temples eux-mêmes qui abritent leur statue !
Ce temple va prendre la forme des anciens palais des rois : la salle contenant le foyer devient sanctuaire, tandis qu’est conservée l’idée d’un portique protecteur, permettant de séparer profane et sacré.
Par la suite, les constructeurs vont profiter des progrès de l’architecture pour offrir davantage d’espace à leurs divinités en créant des coupoles de plus en plus imposantes, à l’image du Panthéon de Rome [26]. Dédicacé en 135 par l’empereur Hadrien, il devait accueillir tous les dieux sous ses 40 mètres de hauteur.
Suite à la chute de Rome, le savoir-faire antique se transmet à Byzance [27]. En inaugurant en 537 la basilique Sainte-Sophie [28], l’empereur Justinien pouvait à juste titre s’écrier, au pied des 55 mètres de haut de la coupole : Salomon, je t’ai surpassé ! en référence au roi hébreu qui avait érigé le Temple de Jérusalem [29].
Il faudra attendre près d’un millénaire avant que les coupoles de Sainte-Sophie n’inspirent tout à la fois les architectes italiens et les architectes ottomans dont l’illustre Sinan , contemporain de Soliman le Magnifique.
L’aspiration au ciel revient avec l’islam. Les cinq appels quotidiens à la prière par le muezzin [30] nécessitent très vite un point élevé aux abords des mosquées. C’est ainsi que sont érigées des minarets [31]. Les plus beaux exemples de minarets nous sont toutefois offerts par le Maroc des Almohades [32], au 12ème siècle. C’est la Koutoubia de Marrakech [33] et sa sœur de Séville, la Giralda [34], aujourd’hui convertie en clocher.
L’attrait des hautes constructions a des prolongements à l’autre extrémité du monde, chez les bouddhistes d’Extrême-Orient.
Au début de notre ère, ils transforment les modestes stupas [35], en vertigineuses pagodes à étages.
Dans les environs de 1500 av. jc, un tremblement de terre épouvantable, probablement provoqué par l’irruption du volcan Thêra [36], situé à une centaine de kilomètres de la Crète [37], entraîna la destruction des palais crétois et la civilisation minoenne [38] disparut complètement.
Arrivèrent alors les Achéens [39] qui, profitant du désarroi provoqué par ce cataclysme, conquirent pacifiquement la Crète. Ils essaimèrent aussi sur le continent et s’installèrent autour de Mycènes [40], Argos [41], Tirynthe [42], Pylos [43].
Les Achéens construisirent de véritables forteresses autour de Mycènes, leur principale cité, mais, peuple guerrier, ils ne surent rester en place et se lancèrent dans de lointaines expéditions. Ce fut leur perte : ils se virent incapables de résister à l’invasion d’un nouveau peuple, les Doriens [44], vers l’an 1200 av. jc. Ceux-ci, descendants de Doros et d’Héraclès selon la légende, ruinèrent les cités et incendièrent les champs.
Les prospères cités du Péloponnèse [45] disparurent sous les coups des nouveaux envahisseurs. Le monde grec entra alors dans un long Moyen Âge que les historiens qualifient parfois d’Âges sombres.