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L’histoire pour le plaisir

L’histoire de l’alphabet

dimanche 17 mai 2020, par lucien jallamion

L’histoire de l’alphabet

Clou de fondation dédié par Entemena, roi de LagashClou de fondation dédié par Entemena, roi de Lagash, au roi de la ville de Bad-Tibira, à l’occasion du traité de paix conclu entre Lagash et Uruk. Le texte est le plus ancien document diplomatique connu ; il en existe en tout 46 exemplaires sur cône d’argile. Découvert à Tello, ancienne cité de Girsu, 2400 av. J.-C. (Musée du Louvre)

Notre alphabet provient, en ligne directe, de celui qu’utilisaient les Romains qui l’avaient eux-mêmes reçu des Grecs. Pourtant, ni les Grecs ni les Romains ne sont les inventeurs de l’alphabet dont la paternité revient aux Phéniciens.   En effet, l’histoire de l’alphabet a commencé sur l’eau. Ce sont les Phéniciens [1], peuple de marins installés au Liban actuel, qui en dispersèrent le principe autour de la Méditerranée entre le 10ème et le 8ème siècle av. jc. Leur apport fut souligné dès l’Antiquité par Hérodote comme par Pline. C’est un alphabet de type linéaire composé de 22 signes se distinguant nettement des signes cunéiformes [2] par leur tracé en ligne droite ou courbe.   Grâce à leurs 22 consonnes représentant les sons élémentaires de la langue et certainement empruntées aux Syriens d’Ougarit [3], ils feront entrer les Araméens [4] (8ème av. jc), Hébreux (7ème av. jc) et autres Arabes (6ème de notre ère) dans le monde de l’écrit.   Les Phéniciens ont transmis ce système révolutionnaire aux Grecs. L’alphabet tire son nom des deux premières lettres de sa version grecque : alpha et bêta. Avec un peu d’imagination, on peut reconnaître dans alpha (notre A) l’image d’une bête à corne car à l’origine, cette lettre représentait le bœuf. Quant à bêta, c’est le signe phonétique inspiré du mot maison. Maison se dit en effet beth dans les langues sémitiques (comme dans Bethléem, lieu de naissance de Jésus-Christ).   Mais ce sont les Grecs qui eurent le plus d’influence sur les écritures européennes : perfectionnistes, ils intègrent au 8ème siècle av. jc des voyelles, héritées de consonnes araméennes et prennent soin de distinguer capitales et minuscules.   Leur goût pour le commerce, qui leur fait traverser les mers, et surtout la richesse de leur littérature leur permirent de diffuser leur alphabet dans tout le bassin méditerranéen [5].   Les Grecs ont modifié l’alphabet phénicien afin qu’il puisse rendre compte de leur propre langage, qui comporte de nombreuses voyelles. En effet, l’alphabet phénicien ne compte que des consonnes. Cette particularité, assez peu gênante pour des langues sémitiques comme l’arabe et l’hébreu, qui offrent peu de voyelles, devenait insurmontable pour transcrire le grec.   Pour tourner la difficulté, les Grecs eurent l’idée d’emprunter à l’alphabet araméen divers signes représentant des consonnes inconnues de leur langue et d’en faire des voyelles. Ainsi sont nées les lettres A (alpha), E (epsilon), O (omicron) ou Y (upsilon).   En 405 avant Jésus-Christ, un archonte [6] du nom d’Euclide (rien à voir avec le mathématicien), introduit à Athènes la variante milésienne [7], avec ses 24 lettres. Du fait du rayonnement intellectuel d’Athènes, la réforme euclidienne ne tarde pas à se généraliser à l’ensemble de la Grèce continentale. Mais en Grande Grèce, autrement dit dans les colonies de la péninsule italienne, on en reste à d’autres variantes.   En 146 av. jc, après l’annexion de la Grèce par Rome, l’alphabet grec fut assimilé par les nouveaux maîtres, moyennant des modifications.   Il s’est étendu, à partir des 2ème et 3ème siècles de notre ère, à toutes les régions de l’Europe où les Romains s’étaient implantés et où s’écrivait le latin.   Lorsque Rome, une cité latine en plein essor, adopte à son tour un alphabet, elle choisit celui de Neapolis [8], une colonie fondée par les habitants de Chalcis [9], une cité de l’île d’Eubée [10], en mer Egée [11]. C’est ainsi que les Grecs continuent aujourd’hui d’utiliser l’alphabet athénien, avec quelques modifications mineures, tandis que les lointains héritiers des Romains (les Européens de l’Ouest) utilisent l’alphabet chalcidien. Voilà l’origine des principales différences entre les alphabets grec et latin (par exemple le P grec qui s’écrit R en latin)   La ponctuation   Art d’accommoder les textes, ces petites pattes de mouches qui viennent s’intercaler entre les mots ont eu du mal à s’imposer. Pourtant, on s’est vite rendu compte que, sans cette aide, la lecture d’un texte devient vite pénible.

Les érudits de la bibliothèque d’Alexandrie [12] se penchent sur le problème au 2ème siècle av. jc et finissent par imposer 3 types de point. L’espace entre les mots, qui nous semble aujourd’hui naturel, n’apparaît qu’au 7ème siècle.   Le texte commence à être observé pour ses qualités esthétiques qui inspirent aux enlumineurs et copistes la création des majuscules ornées. Ce n’est qu’après la diffusion de l’imprimerie que l’apostrophe fait son entrée dans la ponctuation, accompagnée des points d’interrogation et d’exclamation.

P.-S.

source : historia-nostra.com/ category/ histoire-antique/ histoire-greque/

Notes

[1] Le territoire de la Phénicie correspond au Liban actuel auquel il faudrait ajouter certaines portions de la Syrie et de la Palestine. Les Phéniciens étaient un peuple antique d’habiles navigateurs et commerçants. Partis de leurs cités États en Phénicie, ils fondèrent dès 3000 av jc de nombreux comptoirs en bordure de la Méditerranée orientale, notamment Carthage en 814. Rivaux des Mycéniens pour la navigation en Méditerranée au 2ème millénaire av jc, ils furent d’après ce qu’on en sait les meilleurs navigateurs de l’Antiquité. L’invasion des Peuples de la Mer va ravager les cités phéniciennes, de même que Mycènes et les autres territoires qu’ils traversent, mais c’est ce qui va permettre aux Phéniciens de trouver leur indépendance vis-à-vis des puissances voisines qui les avaient assujettis puisque celles-ci seront elles aussi détruites par ces invasions. La chute de Mycènes en particulier va leur permettre de dominer les mers. Après avoir supporté les assauts des Athéniens, des Assyriens, de Nabuchodonosor puis de Darius III, la Phénicie disparut finalement avec la conquête par Alexandre le Grand en 332 av jc.

[2] expression latin qui signifie : en forme de clou

[3] Ougarit est une ancienne cité du Proche-Orient, située dans l’actuelle Ras Shamra (initialement nommée Ras ech-Chamra, « cap du fenouil »), près de Lattaquié en Syrie. Cette capitale de l’ancien royaume homonyme était au débouché d’une route qui joignait la mer Méditerranée au bassin mésopotamien, entre l’Empire hittite au nord et de la sphère d’influence égyptienne au sud. Elle connaît son apogée au tournant du 2ème millénaire av. jc.

[4] Les Araméens sont un ensemble de groupes ethniques du Proche-Orient ancien qui habitaient des régions de la Syrie et de la Mésopotamie au 1er millénaire av. jc. De petits États araméens se sont développés à partir du 11ème et 10ème siècle av. jc. durant les premiers temps de l’Âge du Fer. Les Araméens n’ont pourtant jamais développé une culture ou un État unifié. Ils sont devenus au milieu du 1er millénaire un élément important de la population de l’Assyrie et de la Babylonie, au point que leur langue, l’araméen, s’est répandue dans tout le Proche-Orient ancien.

[5] écritures copte, géorgienne, arménienne, étrusque puis latine

[6] dirigeant

[7] du nom de Milet, une cité d’Asie mineure

[8] aujourd’hui Naples

[9] Chalcis est la principale ville de l’île et du district régional d’Eubée, en Grèce, située sur le détroit de l’Euripe. Son nom vient de ses fabriques d’armes en bronze. Dès le 9ème siècle av. jc, c’est une cité puissante d’où partent de nombreux colons. Ceux-ci fondent des cités à Rhégion (aujourd’hui Reggio de Calabre), Catane, Léontinoï en Sicile, Cumes en Italie du sud, et en Chalcidique dans le nord de la mer Égée, où naissent ainsi plus de trente cités. Chalcis s’impose face à sa rivale Érétrie au 7ème siècle av. Jc après la Guerre lélantine et domine toute l’Eubée, mais est vaincue en 506 av .jc par Athènes et demeure dans l’orbite de la cité attique pendant plusieurs siècles. Chalcis participe en 480 à la bataille de Salamine avec 80 navires et a envoyé un contingent à la bataille de Platées.

[10] L’Eubée est la plus grande des îles de la mer Égée, située en face de l’Attique et de la Béotie, dont elle est séparée par le détroit de l’Euripe. La période archaïque est considérée comme celle de l’apogée de l’Eubée et de ses cités Chalcis et Erétrie. Puissantes, elles participèrent à la vague de colonisation grecque. Après les guerres médiques, Eubée est totalement soumise aux Athéniens, la ville italienne de Cumes et Naxos en Sicile, deviennent des colonies de Chalcis.

[11] La mer Égée est une mer intérieure du bassin méditerranéen, située entre l’Europe et la Grèce à l’ouest, et l’Asie et la Turquie à l’est. Elle s’étend de la côte thrace et du détroit des Dardanelles au nord jusqu’à la Crète au sud.

[12] Le Mouseîon d’Alexandrie en Égypte ptolémaïque, est l’un des plus importants centres intellectuels du monde hellénistique. La construction du musée est l’une des nombreuses illustrations de la politique culturelle de Ptolémée 1er, celle de la recherche d’une véritable suprématie intellectuelle lagide. L’ancien sômatophylaque d’Alexandre le Grand voulut faire de son musée celui du monde grec, à l’image du vers d’un poète grec rapporté par Athénée de Naucratis dans son Deipnosophistes, faisant du musée du mont Hélicon celui de la Grèce. Expression du désir constant de conserver des liens avec la tradition et culture grecque, le musée d’Alexandrie a été par la même occasion le moyen pour les Ptolémées de prôner une supériorité culturelle face à des rivaux antigonides et attalides qui redoublaient d’efforts pour édifier de nombreux musées et académies. Malgré son important endommagement en 47 av.jc, le musée d’Alexandrie a survécu, notamment par l’héritage qu’il a légué partout en Europe. Le Mouseîon est définitivement fermé le 16 juin 391, sur un édit de l’empereur Théodose 1er, ce dernier ordonnant la fermeture de tous les temples païens, acte signant la mort du polythéisme par son interdiction.