Les premières traces de peuplement humain en Asie du Sud-Est remonteraient à un peu plus d’un million d’années. C’est alors qu’Homo erectus [1] apparaît dans la péninsule. Les routes qu’il emprunta lors de sa migration sont encore peu connues. La découverte de certains sites archéologiques semble indiquer une arrivée par le nord-ouest en provenance de la Chine actuelle. Homo erectus aurait ensuite essaimé à travers l’Asie du Sud-Est actuelle en empruntant les cours d’eau et occupant progressivement les montagnes et les vallées de la région durant le paléolithique. Il sera plus tard rejoint dans la région par Homo sapiens [2] avec qui il cohabitera plusieurs milliers d’années avant de s’éteindre comme dans le reste du monde. D’importantes traces de terrassement et des restes d’habitations et d’ossements ont été découverts sur les bords de l’Irrawaddy [3] et dans les hauteurs alentour dans l’actuelle Haute-Birmanie. Des vestiges variés furent retirés des sites étudiés, leurs datations s’échelonnant de l’arrivée des premiers hommes dans la région il y a près d’un million d’années jusqu’à la fin des périodes glaciaires marquant le début du néolithique vers 12000 avant notre ère.
Vivant de la chasse et de la cueillette de fruits et légumes sauvages poussant dans leurs environs, ces premiers habitants de la Birmanie laissèrent des restes d’outils faits de pierre taillée et de bois fossilisé similaires à ceux découverts dans le reste de la péninsule indochinoise pour la période paléolithique. Ces premiers hommes furent qualifiés d’Anyathien [4], où l’essentiel des vestiges fut découvert Les principaux vestiges néolithiques connus en Birmanie sont les fameuses grottes de Tin Ein, Maung Pa et Padhalin situées dans l’actuelle région shan [5] près de la ville de Taunggyi [6] à l’est du pays. Occupées entre 10000 et 6000 av. jc, ces grottes abritent un des rares exemples de peintures murales préhistoriques en Asie du Sud-Est. En outre, près de 1 600 objets y furent découverts incluant notamment un large éventail d’outils fabriqués à base de différents types de pierres taillées et polies, témoignant du niveau technologique atteint par les habitants de la région à cette période. Véritable tournant dans l’histoire de l’humanité, cette révolution technique, qui s’observe à la même époque en d’autres points du globe, permit une nette progression dans le domaine agricole qui se traduisit notamment par la domestication de plusieurs plantes et l’apprivoisement des premiers animaux. Dans le cas de l’Asie du Sud-Est et de la péninsule indochinoise en particulier, les vestiges archéologiques laissent à penser que l’agriculture n’aurait pas été découverte et expérimentée dans la région, mais importée de l’extérieur par des populations qui la pratiquaient déjà. C’est dans les régions côtières du sud de la Chine, dans la basse vallée du Yangzi Jiang [7], que les plus anciennes traces d’une société agricole furent découvertes. Apparue progressivement dans la région près de 6000 ans avant notre ère, l’agriculture aurait alors répondu à la quasi-disparition du riz sauvage, l’un des effets les plus significatifs des changements climatiques que connut la région à cette époque. Un bouleversement considérable pour les populations locales qui finirent par s’adapter en adoptant l’agriculture comme moyen de subsistance. L’agriculture sera introduite en Asie du Sud-Est à la faveur de ces premières migrations en direction du sud. Bien que des premiers groupes aient sans doute migré avant la fin du paléolithique, les afflux massifs n’eurent lieu qu’après le début du néolithique et le développement de l’agriculture conduisant à l’essor démographique nécessaire à de telles migrations. Les sites archéologiques de Saï Yok en Thaïlande [8], ainsi que ceux de Bac Son et de Hoa Binh [9] au nord du Vietnam [10], révèlent l’existence de groupes pratiquant la culture sur brûlis dès le début du 4ème millénaire av. jc. En Birmanie, des sites semblables furent découverts le long de la rivière Samon, au cœur de la Haute-Birmanie. Baptisés par les spécialistes Samon Valley Culture ou culture de la vallée de la Samon, ces vestiges présentent de grandes similitudes techniques et artistiques avec les cultures voisines du Yunnan [11] au sud de la Chine. La fin du néolithique sera également marquée par l’introduction des métaux dans la péninsule indochinoise, le bronze durant le 2ème millénaire, bientôt suivi du fer vers le 6ème siècle avant notre ère. Ils arriveront par le biais des populations originaires du sud de la Chine actuelle, dont descend l’immense majorité des habitants actuels de l’Asie du Sud-Est, Birmanie comprise. S’installant d’abord dans la péninsule indochinoise, puis dans le reste de l’Asie du Sud-Est, ces nouveaux arrivants remplacèrent progressivement les populations préexistantes, assimilant une partie d’entre eux et repoussant l’autre vers le sud et les parties insulaires de la région. Ces autochtones se divisaient alors en 3 grands groupes. Tout d’abord, le groupe australoïde, le plus ancien, d’où sont issus les aborigènes d’Australie. Le groupe négritos encore présent aux Philippines, ainsi que dans la péninsule malaise. Enfin, le groupe dit mélanésien, dont les Mokens [12] de l’archipel des Mergui [13], communément désignés dans la littérature occidentale sous le nom de Sea Gypsies ou Nomades des mers, sont les lointains descendants en Birmanie. Ce processus de migration nord-sud s’est poursuivi longtemps avec les arrivées successives des différents groupes linguistiques appartenant aux grandes familles de langues actuellement parlées dans la région, à savoir la famille sino-tibétaine regroupant entre autres les dialectes karens* et les langues tibéto-birmanes telles que le birman actuel, le chin [14] ou encore le kachin [15], la famille thaïe à laquelle appartiennent les langues parlées actuellement en Thaïlande, au Laos et dans le pays shan en Birmanie, et la famille des langues austro-asiatiques comprenant notamment le khmer, le vietnamien et surtout le môn. S’étalant sur l’ensemble du 1er millénaire avant notre ère, ces vagues migratoires s’accompagneront d’évolutions significatives sur le plan agricole, avec l’introduction progressive de la culture rizicole inondée au côté de la culture sur brûlis pratiquée jusqu’alors dans la région
La Birmanie
Le premier des grands États à avoir vu le jour sur le territoire de la Birmanie actuelle est le royaume de Thâton [16] fondé par les Môns [17]. Descendus de Chine méridionale durant le 4ème siècle av. jc, les Môns se sont implantés dans la Thaïlande et le Cambodge [18] actuels mais également en Birmanie, où ils fondèrent le port de Thâton peu après leur arrivée dans la région Structuré autour de cette cité contrôlant le golfe de Martaban [19], ce premier royaume môn, résolument tourné vers la mer et le commerce, établit rapidement des liens avec les civilisations voisines de l’Inde et du Sri Lanka [20]. D’abord commerciaux, les échanges deviennent peu à peu culturels et, dès la fin du 3ème siècle av. jc, des moines bouddhistes sont envoyés à Thâton par l’empereur Ashoka , dont le pouvoir s’exerce alors de l’actuel Afghanistan [21] jusqu’au Bengale [22]. D’abord connu sous le nom de Devanampiya Piyadassi [23], il sera rebaptisé Ashoka [24] après sa conversion au bouddhisme faisant suite à sa conquête, en 261 av. jc, du royaume de Kalinga [25]. Ce triomphe extrêmement sanglant provoqua chez ce souverain une profonde crise morale qui le conduisit à adopter le bouddhisme et ses principes non violents. Son zèle fut pour beaucoup dans la diffusion du bouddhisme en Asie du Sud-Est. Articulé autour du port de Thâton, le royaume s’étendait à son apogée de l’actuelle ville de Moulmein [26] au sud jusqu’à l’actuelle ville de Pégou [27] au nord, qui sera fondée plus tard. La ville de Thâton elle-même était défendue par d’imposantes fortifications, faites de terre et de briques. Ce type de fortification se retrouve dans d’autres régions de la péninsule indochinoise, là où l’influence môn semble également avérée. Bien que n’y ayant laissé que peu de traces, les Môns de Basse-Birmanie et leur culture furent pour beaucoup dans l’émergence de civilisations voisines du Dvaravati [28] et du Haripunjaya [29] qui s’étendaient respectivement sur le centre et le nord de la Thaïlande actuelle à partir du 6ème siècle de notre ère, et abritaient chacune une large population môn. Entretenant des liens commerciaux, politiques et culturels étroits avec le royaume de Thâton, les Môns du Dvaravati et du Haripunjaya formeront ce que les chroniqueurs de l’époque appelèrent le Ramanna Desa [30], qui deviendra bientôt le grand vecteur de diffusion de la culture indienne et du bouddhisme qui pénètre alors dans la région