Né à Damas [1] dans une famille aisée, disciple d’Isidore de Gaza et de Marinos de Néapolis, maître de Simplicios ou Simplice de Cilicie et d’Olympiodore le Jeune, il fut l’un des derniers défenseurs du paganisme dans l’Antiquité tardive.
Il fut le dernier diadoque ou scolarque [2] de l’Académie d’Athènes [3], fondée par Platon en 387 av. jc, ou de l’école néoplatonicienne d’Athènes [4], fondée par Plutarque d’Athènes vers 400, illustrée par Proclos à partir de 438. L’école philosophique d’Athènes fut fermée sur ordre de Justinien 1er en 529.
Au début des années 480, avec son frère Julien, ils allèrent étudier la rhétorique [5] à Alexandrie [6], dans la célèbre école du rhéteur Horapollon , un Égyptien spécialiste de l’ancienne culture du pays, et païen convaincu, qui en convertissant des étudiants à ses croyances avait acquis auprès des chrétiens le surnom de destructeur d’âmes.
Le père d’Horapollon, Asclépiade, et son oncle Héraïscos étaient également des païens très érudits et quelque peu mystiques, qui jouissaient d’une grande renommée à Alexandrie. Héraïscos était l’auteur d’un grand ouvrage sur l’ancienne religion égyptienne, dédié à Proclos, et très apprécié dans les milieux intellectuels païens. L’un des disciples les plus proches et les plus brillants des 2 frères était alors Isidore de Gaza, qui commençait dans l’école d’Horapollon, où se tenaient à la fois des cours de rhétorique et de philosophie, un enseignement très admiré des étudiants, parmi lesquels Damascios, dont il devint le pédagogue [7].
Damascios suivit pendant 3 ans les cours du rhéteur Théon, qui ne paraît pas lui avoir laissé un grand souvenir. Mais vite repéré comme un élément brillant, il fut introduit dans la société d’Aidesia, veuve du philosophe Hermias et mère d’Ammonios. Elle était alors âgée, et lorsqu’elle mourut, Damascios, encore un très jeune homme, se vit accorder l’honneur de prononcer son oraison funèbre.
Jouissait également d’un grand prestige dans ce milieu l’ascète païen Sarapion, qui vivait dans la solitude, méditant sur les poèmes d’Orphée, sa seule lecture, et n’acceptant de recevoir qu’Isidore de Gaza, qu’il avait choisi comme son unique disciple. Damascios, qui le présente comme le dernier survivant de l’âge d’or, vit en lui son grand-père spirituel, bien qu’il n’ait jamais été autorisé à le rencontrer.
Arrive alors à Alexandrie fin 481 ou début 482 un autre lettré païen, Pamprépios, un homme très ambitieux et qui va contribuer à attirer la persécution sur le milieu intellectuel attaché au paganisme. En effet celui-ci est un proche du magister officiorum [8] Illus et tente de gagner ses coreligionnaires païens à un complot contre l’empereur Zénon, publiant par ailleurs des oracles et prophéties annonçant la prochaine défaite et disparition du christianisme.
Mais les sympathisants du paganisme tenaient encore de hautes positions dans l’État, et les choses en restèrent provisoirement là, jusqu’à la défaite définitive d’Illus et de ses partisans en 488. Un délégué impérial du nom de Nicomède fut alors dépêché à Alexandrie avec la mission d’enquêter sur les milieux païens de la ville, avec particulièrement en ligne de mire l’école d’Horapollon.
Quand ils furent convoqués pour interrogatoire, la plupart des enseignants et étudiants préférèrent entrer dans la clandestinité, sauf Ammonios fils d’Hermias et d’Aidesia, que Damascius accuse d’avoir trahi et livré plusieurs de ses collègues et étudiants, passant un accord avec le chef de la doctrine qui prévalait. Horapollon et son oncle Héraïscos furent arrêtés et torturés, ainsi que Julien, le frère cadet de Damascius, mais aucun de ceux-là ne dit un mot. Isidore de Gaza s’était d’abord réfugié chez Damascios. Les 2 hommes quittèrent clandestinement Alexandrie, comptant rejoindre Athènes [9].
Isidore et Damascius gagnèrent d’abord Gaza [10], où ils furent accueillis par un rhéteur d’Alexandrie nommé Antoine, pas très brillant professionnellement, mais païen très pieux.
Ensuite ils se rendirent à Bostra [11], où leur hôte fut le philosophe aristotélicien Dorus.
Ils y restèrent plus longuement, leur hôte les intéressant à l’archéologie de la région et les conduisant sur les sites du Hauran [12], hauts lieux de traditions religieuses et paysages impressionnants, où Damascios éprouva une véritable conversion spirituelle et en même temps, Isidore convertissait aussi Dorus au platonisme.
Les 3 hommes se rendirent dans la ville sainte d’Héliopolis [13], où il semble que leur présence causa des troubles. Isidore fut même apparemment arrêté et subit des mauvais traitements en prison, tandis que Damascios se démenait pour le faire libérer, ce qu’il obtint au bout d’un temps assez long.
Les 3 hommes prirent alors le chemin d’Aphrodise [14], où ils furent reçus par le philosophe Asclépiodote, le dévot d’Isis.
Celui-ci les guida dans des excursions jusqu’à Hiérapolis, il leur fit découvrir les traditions spirituelles de la région, mais Damascius semble d’ailleurs avoir été assez irrité par sa personnalité. Il le présente comme l’homme le plus versé de son époque en matière de sciences naturelles, mais ne comprenant pas grand-chose, malgré sa haute réputation, à la théologie platonicienne. Il est quand même impressionné par son activisme pour la cause, car il a fait de sa patrie Aphrodise, à la suite de son beau-père, un haut lieu du paganisme. En 490, Isidore et Damascios s’embarquèrent à Éphèse [15] pour Samos [16], et de là firent voile vers Le Pirée [17].
Arrivé à Athènes, Damascios avait définitivement abandonné la rhétorique, c’est-à-dire l’érudition littéraire, pour la philosophie, avec la connotation religieuse qu’avait ce mot à l’époque. Il devint un étudiant à plein temps de l’Académie platonicienne, suivant d’abord les cours de mathématiques de Marinos de Néapolis, qui avait pris la succession de Proclos à la tête de l’école en 485, et que Damascios ne tenait pas intellectuellement en haute estime, et ensuite les cours de philosophie de Zénodote, qui avait été l’élève préféré de Proclos.
Il semble qu’au bout d’un certain temps Damascios soit reparti lui aussi pour Alexandrie, où, suivant le témoignage de Photius, il suivit les cours de philosophie platonicienne et d’astronomie ptolémaïque d’Ammonios fils d’Hermias, qu’il considérait, malgré son aversion pour son comportement pendant la persécution, comme le plus grand philosophe de sa génération, spécialement dans les disciplines mathématiques.
Au bout d’un laps de temps impossible à évaluer, il revint à Athènes et y prit la succession, comme diadoque, soit de Zénodote, soit d’Hégias. L’activité très importante de Damascios comme diadoque fait penser qu’il s’installa dans cette fonction longtemps avant 529, probablement avant 515 et même peut-être plusieurs années avant.
Comme diadoque de Platon, Damascios s’efforça de mener une ambitieuse action de restauration du prestige de l’Académie, qui pour lui passait par un retour aux sources. Il se préoccupa aussi de restaurer matériellement les installations de l’école, avec l’appui de l’aristocratie locale sympathisante du paganisme.
En 529, un édit de l’empereur Justinien interdit l’enseignement de la philosophie à Athènes. Frappés dans leurs croyances, dans leur profession, dans leurs moyens d’existence, et menacés apparemment de persécution, les maîtres de l’Académie (Damascios, Simplicios de Cilicie, Priscien de Lydie , Eulamios de Phrygie , Hermias de Phénicie , Diogène de Phénicie , Isidore de Gaza décidèrent d’aller chercher asile à la cour du roi des Perses à Ctésiphon [18].
Les idées positives que ces philosophes se faisaient de la monarchie des Perses, et de leur religion le mazdéisme [19], étaient traditionnelles dans l’école platonicienne. Ils effectuèrent donc le long voyage d’Athènes à Ctésiphon, s’attardant certainement, selon la pratique du « tourisme philosophique » de l’époque, dans quelques-uns des sites prestigieux du trajet, notamment Harran, place-forte et ville sainte du paganisme à l’époque.
À leur arrivée à Ctésiphon, ils eurent affaire au tout jeune Khosrô 1er, qui venait de monter sur le trône en 531, et qui était passionné de culture et de philosophie grecques.
Le jeune roi bombarda les philosophes de questions portant sur la nature de l’âme, son rapport avec le corps, sa destinée après la mort, les visions et les rêves, et des sujets de géographie et d’anthropologie.
Mais cette grande curiosité intellectuelle coexistait dans l’esprit du roi avec un tempérament tyrannique et une propension à la cruauté aggravée par un humour noir de mauvais goût.
De plus, son avènement ne fut pas de tout repos, et les premiers mois de son règne furent mouvementés. Quoi qu’il en soit, quelles qu’aient pu être leurs raisons, les philosophes voulurent rentrer en territoire romain après un temps relativement court passé à Ctésiphon, et le roi Khosrô se prêta à discuter avec eux de la meilleure solution pour leur avenir.
Celle qui fut trouvée fut la suivante : dans le traité de paix perpétuelle conclu entre Khosrô et Justinien en septembre 532, une clause stipulait que “ces hommes, en rentrant chez eux, devaient passer le reste de leur vie sans crainte, comme des individus privés, sans jamais être forcés de professer une croyance contraire à leur conscience ou de changer leurs convictions ancestrales”, phrase dans laquelle certains savants ont reconnu le style de Damascios lui-même. Le dernier signe de vie de Damascios que nous possédions date de 538.