Né à Eisenach [1]. Membre le plus éminent de la famille Bach, sa carrière s’est entièrement déroulée en Allemagne centrale, dans le cadre de sa région natale, au service de petites municipalités, de cours princières sans importance politique, puis du conseil municipal de Leipzig [2] qui lui manifestait peu de considération.
Orphelin de bonne heure, sa première formation a été assurée par son père Johann Ambrosius Bach , puis par son frère aîné Johann Christoph Bach, mais il a aussi été un autodidacte passionné de son art, copiant et étudiant sans relâche les œuvres de ses prédécesseurs et de ses contemporains, développant sa science de la composition et particulièrement du contrepoint [3].
Jean-Sébastien Bach fut un virtuose de plusieurs instruments, le violon et l’alto, mais surtout le clavecin et l’orgue. Sur ces deux derniers instruments, ses dons exceptionnels faisaient l’admiration et l’étonnement de tous ses auditeurs ; il prétendait jouer tout à première vue, et pouvait improviser sur le champ une fugue à trois voix. Il avait aussi une compétence reconnue et très sollicitée en expertise de facture instrumentale.
À la croisée des principales traditions musicales européennes [4], il en a opéré une synthèse très novatrice pour son temps. Bien qu’il n’ait pas créé de forme musicales nouvelles, il pratiqua tous les genres existant à son époque à l’exception de l’opéra : dans tous ces domaines, ses compositions, dont seules une dizaine ont été imprimées de son vivant, montrent une qualité exceptionnelle en invention mélodique, en développement contrapuntique, en science harmonique, en lyrisme inspiré d’une profonde foi chrétienne.
La musique de Bach réalise l’équilibre parfait entre le contrepoint et l’harmonie avant que cette dernière prenne le pas à partir du milieu du 18ème siècle. Il est en particulier le grand maître de la fugue, du prélude de choral, de la cantate [5] religieuse et de la suite qu’il a portés au plus haut degré d’achèvement. La principale destination de ses œuvres a beaucoup dépendu des fonctions exercées : pièces pour orgue à Mühlhausen [6] ou Weimar [7], instrumentales et orchestrales à Cöthen [8], religieuses à Leipzig notamment.
Ses contemporains l’ont souvent considéré comme un musicien austère, trop savant et moins tourné vers l’avenir que certains de ses collègues. Il a formé de nombreux élèves et transmis son savoir à plusieurs fils musiciens pour lesquels il a composé quantité de pièces à vocation didactique, ne laissant cependant aucun écrit ou traité. Mais la fin de sa vie a été consacrée à la composition, au rassemblement et à la mise au propre d’œuvres magistrales ou de cycles synthétisant et concrétisant son apport théorique, constituant une sorte de testament musical.
Peu connue de son vivant au-dehors de l’Allemagne, passée de mode et plus ou moins oubliée après sa disparition, pleinement redécouverte au 19ème siècle, son œuvre, comprenant plus de mille compositions, est généralement considérée comme l’aboutissement et le couronnement de la tradition musicale du baroque. Objet d’un culte chez les musicologues et musiciens qui a cependant pu susciter l’ironie de Berlioz , Jean-Sébastien Bach est, de nos jours, considéré comme un des plus grands compositeurs de tous les temps, si ce n’est comme le plus grand.
Comme nombre de musiciens des 17ème et 18ème siècles, Jean-Sébastien Bach est issu d’une famille de musiciens peut-être venue de Hongrie au 16ème siècle et implantée en Thuringe [9] pour pouvoir y pratiquer librement sa confession luthérienne [10].
Un document, probablement établi par Jean-Sébastien Bach lui-même, donne des informations sur la généalogie et la biographie de 53 musiciens membres de cette famille ; il est intitulé Ursprung der musicalisch-Bachschen Familie [11] et trois copies existent, à défaut du manuscrit autographe.
De fait, cette famille exerçait une sorte de monopole sur toute la musique pratiquée dans la région : ses membres étaient musiciens de ville, de cour, d’église, cantors, facteurs d’instruments, dominant la vie musicale de toutes les villes de la région, notamment Erfurt [12], Arnstadt [13], etc. Chaque enfant avait donc son destin déterminé : il suivrait l’enseignement de son père, de ses oncles ou d’un frère aîné, puis suivrait leur trace, celle de ses ancêtres et de ses nombreux cousins.
L’ancêtre Veit Bach [14], que quatre générations séparent de Jean-Sébastien, aurait été meunier, boulanger et joueur de cithare [15]. Son fils Johannes Hans Bach avait été le premier musicien professionnel de la famille, et avait eu trois fils également musiciens : Johann, Christoph et Heinrich ; parmi les enfants de Christoph, on trouve des frères jumeaux : Johann Christoph et Johann Ambrosius, le père de Jean-Sébastien, nés à Erfurt qui était une des villes de résidence de la famille.
Jean-Sébastien Bach naît à Eisenach le 21 mars 1685, selon le calendrier julien alors en usage dans l’Allemagne protestante, soit le 31 mars 1685 selon le calendrier grégorien adopté seulement en 1700 en Allemagne dans une maison à ce jour disparue, proche de l’actuel musée Jean-Sébastien Bach d’Eisenach [16].
Jean-Sébastien Bach est le dernier des 8 enfants de Johann Ambrosius Bach, trompettiste à la cour du duc et Haussmann [17], et de son épouse Elisabeth, née Lämmerhirt, originaire d’Erfurt. Il est baptisé dans la confession luthérienne dès le 23 mars à Georgenkirche [18]. Ses deux parrains, qui ont donné leur nom à l’enfant, étaient Sebastian Nagel, joueur de pipeau de ville de Gotha [19], et de Johann Georg Kochµ
La famille Bach est réputée pour ses musiciens, car les Bach qui pratiquent cette profession à l’époque sont déjà au nombre de plusieurs dizaines, exerçant comme musiciens de cour, de ville ou d’église dans la région de Thuringe. Jean-Sébastien Bach se situe à la cinquième génération de cette famille depuis le premier ancêtre connu, Veit Bach, meunier et musicien amateur, qui serait venu de Hongrie ou de Slovaquie au 16ème siècle pour fuir des persécutions religieuses, car il était protestant, et se serait installé dans la région à Wechmar.
Son enfance se passe à Eisenach, et il reçoit sa première éducation musicale de son père, violoniste de talent. Il est aussi initié à la musique religieuse et à l’orgue par un cousin de son père, Johann Christoph Bach, qui est l’organiste de l’église Saint-Georges et claveciniste du duc. Il fréquente, à partir de ses 8 ans, l’école de latin des dominicains d’Eisenach
Sa mère, meurt le 1er mai 1694, alors qu’il vient d’avoir 9 ans. Le 27 novembre suivant, son père se remarie avec une veuve, Barbara Margaretha Bartholomäi née Keul, mais il meurt quelques semaines plus tard, le 20 février 1695. Orphelin dès 10 ans, Jean-Sébastien est recueilli par son frère aîné, Johann Christoph, âgé de 24 ans, élève de Johann Pachelbel et organiste à Ohrdruf [20] et sa tante Johanna Dorothea, qui sera l’Ersatzmutter [21], dont 5 des 9 enfants seront des musiciens accomplis.
Dans cette ville, Jean-Sébastien Bach fréquente le lycée, acquérant une culture plus approfondie que ses aïeux. Il a pour camarades de classe l’un de ses cousins, Johann Ernst Bach et un ami fidèle, Georg Erdmann. Johann Christoph poursuit son éducation musicale et le forme aux instruments à clavier. Jean-Sébastien se montre très doué pour la musique et participe aux revenus de la famille en tant que choriste au sein du Chorus Musicus, composé d’une vingtaine de chanteurs. Son frère le laisse suivre la construction d’un nouvel orgue pour l’église, puis toucher l’instrument.
Il aime à recopier et étudier les œuvres des compositeurs auxquelles il peut accéder, parfois même contre la volonté de son aîné. La passion d’apprendre restera un de ses traits de caractère et en fera un connaisseur érudit de toutes les cultures musicales européennes.
Le 19 janvier 1700, doté d’une bourse, Georg Erdmann quitte Ohrdruf pour le pensionnat Saint Michel de Lunebourg [22]. Dès le 15 mars suivant, Jean-Sébastien Bach le rejoint, parcourant à pied une distance de plus de 300 km. Le désir de retrouver son ami et d’alléger la charge de son entretien par l’aîné, qui est marié et père de famille, le décide probablement à ce changement décisif. Il est admis, avec son ami, dans la manécanterie de la Michaelisschule [23] qui accueille les jeunes garçons pauvres ayant une belle voix.
Outre la musique, il y apprend la rhétorique, le latin, le grec et le français. Il fait la connaissance de Georg Böhm , un compatriote de Thuringe, musicien de la Johanniskirche et élève du grand organiste de Hambourg [24] Johann Adam Reinken . Böhm l’initie au style musical de l’Allemagne du nord et l’on retrouve quelques menuets dans le Klavierbüchlein [25]. Il côtoie aussi à Lunebourg ou à la cour ducale de Celle [26] des musiciens français émigrés, notamment Thomas de La Selle, élève de Lully et professeur de danse, c’est l’approche d’une autre tradition musicale avec François Couperin notamment, Lully, Destouches et Collasse . Après la mue de sa voix, il se tourne vers la pratique instrumentale : orgue, clavecin et violon. Il peut fréquenter la bibliothèque municipale de Lunebourg et les archives de la Johanniskirche qui recèlent de nombreuses partitions des plus grands musiciens de l’époque. En 1701, il se rend à Hambourg et y rencontre Johann Adam Reinken et Vincent Lübeck , deux grands virtuoses titulaires des plus belles orgues de l’Allemagne du nord.
Bach passera sa première audition en 1702, à Sangerhausen [27], à l’ouest de Halle [28]. Il s’agissait de trouver un successeur à Gottfried Christoph Gräffenhayn qui venait de mourir le 09 juillet 1702. En dépit de l’excellente audition qu’il donna, le duc en personne, Johann Georg de Saxe-Weissenfels, s’opposa à cette nomination et attribua le poste au petit-fils d’un ancien titulaire de cette charge.
En janvier 1703, fraîchement diplômé, Bach prend un poste de musicien de cour dans la chapelle du duc Jean-Ernest III de Saxe-Weimar à Weimar [29], grande ville de Thuringe. Il est employé comme laquais et violoniste dans l’orchestre de chambre du frère du duc de Weimar. En 7 mois, jusqu’à la mi-septembre 1703, il se forge une solide réputation d’organiste et est invité à inspecter et inaugurer le nouvel orgue de l’église de Saint-Boniface d’Arnstadt, au sud-ouest de Weimar. Il a 18 ans
En août 1703, il accepte le poste d’organiste de cette église, qui lui assure des fonctions légères, un salaire relativement généreux, et l’accès à un orgue neuf et moderne. La famille de Bach avait toujours entretenu des relations étroites dans cette ville, la plus ancienne de Thuringe. Mais cette période n’est pas sans tensions : il n’est apparemment pas satisfait du chœur. Des conflits éclatent, et il en vient par exemple aux mains avec un bassoniste, Johann Heinrich Geyersbach. Ses employeurs lui reprochent une absence excessive lors de son voyage à Lübeck ; il devait partir quatre semaines mais ne revint que 4 mois plus tard en 1705/1706 : il avait rendu visite à Buxtehude pour assister aux fameuses Abendmusiken [30] à l’église Sainte-Marie, faisant 400 kilomètres à pied pour s’y rendre. C’est à cette époque que Bach achève d’élaborer son art du contrepoint et sa maîtrise des constructions monumentales.
De retour à Arnstadt en janvier 1706 après avoir rendu visite à Reincken à Hambourg et Böhm à Lüneburg, le consistoire lui reproche vivement sa nouvelle manière d’accompagner l’office, entrecoupant des strophes et usant d’un contrepoint si riche que le choral n’en est plus reconnaissable. Le consistoire l’accuse aussi de profiter des sermons pour s’éclipser et rejoindre la cave à vin, et de jouer de la musique dans l’église avec une demoiselle étrangère, sa cousine Maria Barbara
Le décès de l’organiste de l’église Saint-Blaise de Mühlhausen, lui offre l’opportunité qu’il attendait : de l’automne 1707 à la mi-juillet 1708, il est organiste à Mühlhausen. Il y écrit sa première cantate, prélude à une œuvre liturgique monumentale à laquelle viendra se rajouter l’œuvre pour orgue. Il compose durant sa vie des cantates pour 5 années complètes de cycle liturgique, soit plus de 300. Plusieurs dizaines de ses compositions sont perdues, dont une partie date de cette période.
Mühlhausen est alors une petite ville de Thuringe, récemment dévastée par le feu, et Bach peine à trouver à se loger à un prix convenable. Le 17 octobre 1707, il épouse, à Dornheim près d’Arnstadt, sa cousine Maria Barbara dont il admire le timbre de soprano [31]. Il doit se battre pour constituer une dot convenable, aidé par l’héritage modeste de son oncle Tobias Lämmerhirt, et pour donner à sa femme une place dans les représentations, car les femmes ne sont généralement pas admises à la tribune d’honneur jusqu’au 19ème siècle. Ils auront 7 enfants dont 4 atteignent l’âge adulte, parmi lesquels Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel .
Bach rassemble une bibliothèque de musique allemande, et fait travailler le chœur et le nouvel orchestre. Il récolte les fruits de son labeur lorsque la cantate BWV 71, inspirée de Buxtehude, écrite pour l’inauguration du nouveau conseil est donnée dans la Marienkirche, où il a son siège, le 4 février 1708.
Le gouvernement de Mühlhausen est satisfait du musicien : il ne fait aucune difficulté pour rénover à grands frais l’orgue de l’église Divi Blasii [32], et lui confie la supervision des travaux. Il édite à ses frais la cantate BWV 71, l’une des rares œuvres de Bach publiée de son vivant, et il réinvite par 2 fois le compositeur pour la diriger.
Cependant, une controverse naît au sein de la ville : les luthériens orthodoxes, amoureux de musique, s’opposent aux piétistes, plus puritains et qui refusent les arts. Bach, dont le supérieur direct Johann Adolf Frohne est un piétiste, sent que la situation ira en se dégradant, et accepte une meilleure situation à Weimar.
De 1708 à 1717, il est organiste et premier violon soliste à la chapelle du duc de Saxe-Weimar [33], Guillaume-Ernest de Saxe-Weimar . Il dispose de l’orgue, mais aussi de l’ensemble instrumental et vocal du duc. Cette période voit la création de la plupart de ses œuvres pour orgue, dont la plus connue, la célèbre Toccata et fugue en ré mineur, BWV 565. Il compose également de nombreuses cantates, et des pièces pour clavecin inspirées des grands maîtres italiens et français.
Bach avait la compétence, la technique et la confiance pour construire des structures de grande échelle et synthétiser les influences de l’étranger, italiennes ou françaises.
De la musique des Italiens tels que Vivaldi, Corelli et Giuseppe Torelli , il a appris l’écriture d’ouvertures dramatiques et en a adopté les développements ensoleillés, les motifs rythmiques dynamiques et les arrangements harmoniques décisifs.
Mais Bach souhaite quitter cette ville où il s’ennuie. Il a comme élève le neveu du duc et son héritier, Ernest-Auguste 1er . Celui-ci, bon claveciniste, avait épousé Éléonore-Wilhelmine d’Anhalt-Köthen , mais critiquait ouvertement la politique de son oncle.
Bach passe une bonne partie de son temps au château d’Ernest-Auguste. Voulant marquer son mécontentement à l’égard de son neveu, le duc de Weimar interdit aux musiciens de jouer chez ce dernier, mais Bach ne tient pas compte de cette interdiction. Le duc s’en trouve alors offusqué.
En 1716, le maître de la chapelle, Drese, meurt. La place devait alors logiquement revenir à Bach. Le duc, après avoir essayé de s’assurer les services de Georg Philipp Telemann, nomme le fils de Drese. Bach affiche alors ouvertement son soutien à Ernest-Auguste et cesse d’écrire des cantates pour Guillaume II.
Le prince Léopold d’Anhalt-Köthen , beau-frère du duc de Saxe-Weimar, avait été très impressionné par la musique écrite par Bach pour le mariage de sa sœur Éléonore-Wilhelmine avec Ernest-Auguste 1er. Il propose à Bach le poste de maître de chapelle de la cour de Köthen, le plus élevé des postes de musiciens permettant à Bach d’être appelé Herr Kapellmeister [34]. Bach, qui avait déjà refusé un poste à la cour du roi de Pologne à Dresde [35] car le duc avait doublé ses appointements pour le garder, accepte cette offre. En apprenant la nouvelle, le duc emprisonne Bach durant un mois, du 6 novembre au 2 décembre. Il compose alors en prison les 46 chorals du Petit livre d’orgue [36]
De décembre 1717 à avril 1723, il succède à Johann David Heinichen comme Kapellmeister à la cour du prince Léopold d’Anhalt-Köthen, beau-frère du duc de Weimar. Le prince est un brillant musicien : il joue avec talent du clavecin, du violon et de la viole de gambe [37]. Son Grand Tour de 1710 à 1713 le met en contact avec la musique profane italienne et le convainc de la nécessité de développer la musique profane allemande, d’autant que ses convictions religieuses calvinistes lui interdisent la musique d’église.
Une opportunité se présente à lui car Frédéric-Guillaume 1er de Prusse vient d’accéder au pouvoir, et celui-ci ne montre aucun intérêt pour les arts : il licencie les artistes de la Cour et les dépenses baissent de 80 % en une année. Le prince Léopold peut attirer des musiciens de la cour de Berlin [38] vers celle de Köthen, qui dispose rapidement de 18 instrumentistes d’excellent niveau. La musique représente dès lors le quart du budget pourtant limité de la principauté de Anhalt-Köthen, qui devient un important centre musical.
Bach a écrit un bon nombre de musique de chambre à Köthen. Traditionnellement, la période de Köthen est vue comme le point culminant de rendement de musique de chambre de Bach.
L’ambiance y est informelle, et le prince traite ses musiciens comme ses égaux. Il les emmène à Carlsbad [39] pour prendre les bains, et il joue souvent avec eux, parfois même chez Bach lorsque sa mère Gisela Agnes s’irrite de la présence perpétuelle de l’orchestre au palais. Son poste offre à Bach un certain confort pécuniaire, avec une dotation de 400 thalers par an. Le prince Léopold est par ailleurs le parrain de Léopold Augustus Bach, le dernier enfant de Maria Barbara.
Cette période heureuse est propice à l’écriture de ses plus grandes œuvres instrumentales pour luth, flûte, violon, clavecin, violoncelle, 6 concertos brandebourgeois, et probablement Suite orchestrale n°3 en ré majeur, BWV 1068 Sarabande.
En 1719 il est allé à Berlin obtenir un grand clavecin de Mietke pour la cour, qui l’a considérablement stimulé.
Mais sa femme Maria Barbara meurt le 7 juillet 1720, et cet événement le marque profondément. Il en est d’autant plus bouleversé qu’il n’apprend la mort et l’enterrement de son épouse qu’à son retour de Dresde. Il se remarie un an et demi plus tard avec Anna Magdalena Wilcke , fille d’un grand musicien et prima donna [40] de la cour de Köthen.
Il songe à quitter cet endroit rempli de souvenirs à la recherche d’une ville universitaire pour les études supérieures de ses enfants, d’autant qu’il ne peut composer de musique sacrée dans une cour calviniste. De plus, la deuxième femme du Prince, épousée en 1721, semble être peu sensible aux arts en général, et en détourne son mari. Parallèlement, le prince doit contribuer davantage aux dépenses militaires prussiennes.
Bach cherche un nouvel emploi. À la Katharinenkirche [41] de Hambourg [42], il donne un concert très remarqué, en particulier par Johann Adam Reinken, presque centenaire, et se voit presque proposer un poste. Il rassemble un recueil de ses meilleures œuvres concertantes, et les envoie au margrave [43] de Brandebourg [44] qui lui avait marqué un certain intérêt 2 ans auparavant. Il postule à Leipzig, où le poste de Cantor [45] est vacant et lui permet une plus grande renommée dans le Saint Empire, mais aussi en Pologne et en France : le prince électeur de Saxe est roi de Pologne a fréquenté la cour de Versailles, avec laquelle il garde de bonnes relations.
Il obtient le poste de Cantor de Leipzig, succédant à Johann Kuhnau , fonction pourtant d’un rang inférieur à celui de Kapellmeister qu’il occupait auprès du prince. C’est peu après sa nomination, alors qu’il est encore à Köthen, qu’il compose la Passion selon saint Jean destinée à l’église Saint-Thomas de Leipzig. Cette ville de commerce n’a pas d’orchestre de cour et l’opéra a fermé ses portes, sa femme cantatrice doit y abandonner sa carrière. Elle l’aide alors dans ses travaux de copie et de transcription
À Leipzig, le poste de Johann Kuhnau, le Thomaskantor [46] de l’église luthérienne saint Thomas, est à pourvoir. La place ayant été précédemment refusée par Georg Philipp Telemann, le conseil tente de débaucher d’autres compositeurs : Christoph Graupner décline l’offre ainsi que Georg Friedrich Kauffmann, Johann Heinrich Rolle , et Georg Balthasar Schott. Le Docteur Platz, membre du conseil, révèle dans sa correspondance les raisons du choix qu’ils se résolvent à faire. Pour des raisons importantes, la situation est délicate et puisque l’on ne peut avoir les meilleurs, il faut donc prendre les médiocres. Bach est choisi le 22 avril 1723 et signe son contrat en 14 clauses le 5 mai.
À l’époque, Leipzig, avec ses 30 000 habitants, est la deuxième ville de Saxe. Elle est le siège de foires commerciales réputées, un centre d’édition reconnu, et s’enorgueillit d’une université renommée [47] qui dut compter dans le choix que fit Bach de venir s’installer dans la ville. La possibilité que ses fils y étudient entre en effet dans les projets du futur Cantor.
La famille Bach s’installe à Leipzig le 22 mai 1723 et y séjourne jusqu’à sa mort en 1750. En qualité de Thomaskantor et Director Musices, il est responsable de l’organisation musicale des deux églises principales de la ville [48] et enseigne la musique aux élèves de Saint-Thomas. Il doit ainsi fournir de très nombreuses partitions et constitue selon sa Nécrologie un ensemble de Cinq années de cantates pour tous les dimanches et jours de fête, sans compter le Magnificat, les Passions, et autres œuvres… De ces 300 cantates supposées et probables, un tiers environ a malheureusement été perdu. Il n’y a qu’une seule répétition pour les cantates, mais le Cantor bénéficie de solistes instrumentaux brillants [49] ou d’excellent niveau, solistes de passage et étudiants du Collegium Musicum. Les chœurs, dont on ne connaît pas l’effectif exact, sont apparemment capables de chanter des parties difficiles après la formation que Bach leur a dispensée. Il se heurte souvent à la jalousie de ses confrères qui forcent notamment les élèves à boycotter ses leçons de musique. Il eut sans cesse des rapports tendus avec les autorités civiles et religieuses de la ville, ce qui le poussa plusieurs fois, mais sans résultat, à chercher une meilleure situation ailleurs.
Le 19 novembre 1736, Bach se vit accorder le titre honorifique de compositeur de la Chapelle royale de la cour de Saxe, sans toutefois que cela s’accompagnât d’un salaire. À cette occasion, il se fit entendre sur le nouvel orgue Silbermann de la Frauenkirche [50] à Dresde.
Il mène une vie riche en connaissances, constituant une bibliothèque spécialisée en bibliologie, théologie et mystique. Sa femme Anna Magdalena l’aide beaucoup dans sa fonction de Cantor en recopiant toutes ses partitions. Sa fonction de responsable du Collegium Musicum de 1729 à 1737, puis après l’intérim de son élève Carl Gotthelf Gerlach de 1739 à 1744) lui permet d’organiser des représentations musicales au Café Zimmermann [51] pour des amateurs bourgeois de musique , et de participer aux débats à l’Université. Il ne manque pas une occasion d’aller à l’opéra de Dresde où son fils Wilhelm Friedemann est organiste. C’est à Leipzig qu’il compose la majorité de ses œuvres sacrées.
Il écrit également la Clavier-Übung ou Klavierübung, le deuxième livre du Clavier bien tempéré. Il compose aussi un important corpus pour orgue, 4 Passions selon son fils Carl Philipp Emanuel, un Magnificat, 3 oratorios [52], et son testament musical, écrit pour Noël 1724 et de 1733 à 1749 : la Messe en si mineur.
Les dix dernières années de sa vie, renonçant aux activités attachées à la fonction de Cantor, Bach limite sa production essentiellement à la musique instrumentale. En 1747, il intègre la Correspondierende Societät der musicalischen Wissenschaften fondée par Lorenz Christoph Mizler pour laquelle il dut fournir chaque année une communication scientifique dans le domaine musical ainsi que son portrait à l’huile, celui d’ Elias Gottlob Haussmann . C’est pour cette société qu’il compose et fait publier les Variations canoniques en 1747, l’Offrande musicale en 1748 et il est probable que l’Art de la fugue devait être la contribution de l’année suivante.
En mai 1747, il se rend en compagnie de son fils Wilhelm Friedemann à Potsdam [53] pour une visite à Frédéric II sollicitée par le souverain lui-même par l’entremise de Carl Philipp Emanuel, claveciniste de la cour depuis 1741.
Il commence à perdre la vue en 1745, et bientôt ne peut plus travailler. Au printemps 1750, il confie par 2 fois ses yeux à John Taylor , un ophtalmiatre réputé, qui ne lui permit pas de recouvrer la vue, sinon par intermittence. 10 ans plus tard, le même John Taylor opère Haendel avec le même résultat. Affaibli par ces opérations de la cataracte, Bach ne survit pas plus de 6 mois. Le 18 juillet, il recouvre soudainement la vue, mais quelques heures plus tard est victime d’une attaque d’apoplexie. Il meurt le 28 juillet 1750, en début de soirée. Anna Magdalena lui survit 10 ans, vivant précairement de subsides de la municipalité.
Bach eut 20 enfants de ses deux mariages successifs. 10 mourront à la naissance ou en bas âge, 4 deviendront compositeurs à leur tour et se lancent vite sur la voie du courant pré-classique qui prend alors le pas sur le Baroque.