Fils d’un cordonnier enrichi, Jean-Baptiste Rousseau fut élevé avec soin et fit de bonnes études chez les Jésuites [1] au collège Louis-le-Grand.
Pour s’accorder à l’esprit de dévotion que Madame de Maintenon répandait sur la fin du règne de Louis XIV, Jean-Baptiste Rousseau commença par composer l’imitation d’un psaume qu’il mit, dit-on, entre les mains du maréchal de Noailles.
Le poème plut et son auteur fut appelé à composer des odes religieuses pour l’édification du duc de Bourgogne Louis de France . Dans le même temps, il rimait en secret des épigrammes licencieuses pour le grand prieur de Vendôme Philippe de Vendôme et la Société du Temple [2], dans laquelle il avait été introduit par le marquis de La Fare Charles-Auguste de La Fare et l’abbé de Chaulieu. On a dit qu’il composait ses psaumes sans dévotion et ses épigrammes, qu’il appelait les Gloria patri des premiers, sans libertinage. Il fut des invités dela duchesse du Maine à ses salons littéraires et aux fêtes des Grandes Nuits de Sceaux [3], dans le cercle des Chevaliers de la Mouche à Miel [4] au Château de Sceaux [5].
L’habileté qu’il montrait dans la versification lui attira la protection de Boileau, qui le guida de ses conseils et le considérait comme le seul qui fût capable de continuer la manière classique. Il fut également protégé par le baron de Breteuil , introducteur des Ambassadeurs et père de la marquise du Châtelet Émilie du Châtelet , et le futur maréchal de Tallard Camille d’Hostun . Ce dernier l’emmena avec lui en 1697 lors de son ambassade à Londres auprès de Guillaume III d’Angleterre, ce qui lui permit de faire la connaissance de Charles de Saint-Évremond .
Rousseau rentra en France en avril 1699. Peu après son retour, le directeur des finances, Hilaire Rouillé du Coudray , se fit son mécène. Ce grand amateur du goût italien était proche de Philippe d’Orléans, futur Régent.
En 1708, Rouillé offrit à Rousseau un emploi de directeur des fermes que le poète se vante d’avoir refusé comme peu compatible avec la nécessaire indépendance d’un homme de lettres. En 1701, il fut élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres [6].
Rousseau s’était essayé au théâtre mais sans succès il avait donné trois comédies et deux opéras. Un seul de ces ouvrages, la comédie “Le Flatteur”, avait eu quelque succès au début, avant de tomber à la reprise.
L’auteur, furieux de ces revers, les attribua à des cabales montées par ses ennemis et désigna certains habitués du café de la veuve Laurent, situé rue Dauphine à proximité du Théâtre-français [7], où se réunissaient des hommes de lettres. On sait aussi que d’autres artistes et intellectuels parmi lesquels des musiciens fréquentaient ce célèbre café.
Rousseau entreprit d’exercer sa vindicte sur ses ennemis désignés. On commença par trouver sous les tables du café des vers satiriques contre Danchet, qu’on reconnut aisément pour l’œuvre de l’irascible poète. Le même procédé se répéta plusieurs fois, si bien que la veuve Laurent pria Rousseau de ne plus remettre les pieds dans son établissement. Les épigrammes se mirent alors à arriver par la poste, expédiées de Versailles où Rousseau demeurait. La police fut prévenue et les envois cessèrent.
En 1710, Rousseau se présenta à l’Académie française [8] contre Houdar de la Motte et fut battu. Il en conçut un très vif dépit. Les couplets recommencèrent et devinrent véritablement odieux, remplis d’injures pour ses adversaires mais aussi contre de hauts personnages et de blasphèmes contre la religion. Rousseau reçut, au Palais-Royal [9], une correction de La Faye, capitaine aux gardes et poète à qui on les avait attribués.
Rousseau porta plainte contre La Faye pour voie de fait, mais La Faye riposta par une plainte en diffamation. Rousseau se désista alors de sa plainte, entraînant le retrait de celle de son adversaire, mais ce fut pour accuser Saurin d’être l’auteur des couplets. Saurin fut arrêté, mais il put démontrer que les témoins produits contre lui avaient été subornés. Un arrêt du Parlement de Paris [10] en date du 27 mars 1711 le relaxa et condamna Rousseau à lui verser 4 000 livres de dommages et intérêts. Un second arrêt, en date du 7 avril 1712, condamna Rousseau au bannissement à perpétuité.
Rousseau, devançant l’arrêt du Parlement, avait quitté la France et s’était d’abord rendu en Suisse, auprès de l’ambassadeur de France, le comte du Luc Charles-François de Vintimille du Luc . Ce dernier l’emmena avec lui au congrès de Bade, où il fut présenté au prince Eugène, auprès de qui il passa 3 ans à Vienne. Il s’installa ensuite chez le duc d’Arenberg Léopold-Philippe d’Arenberg à Bruxelles, où le baron de Breteuil lui fit obtenir, en 1717, des lettres de grâce. Rousseau ne voulut cependant pas en user, réclamant d’être rejugé, ce qui ne put lui être accordé.
En 1722, à Bruxelles, Rousseau rencontra Voltaire . Ce qui se passa exactement durant cette entrevue n’est pas clair, mais il en résulta, entre les deux auteurs, une profonde et violente inimitié.
En 1737, fatigué de l’exil, Rousseau sollicita l’autorisation de revenir en France. Ses protecteurs lui ayant conseillé de venir à Paris, il s’y rendit vers la fin de 1738 et y résida quelques mois incognito, sous le nom de Richer.
Les démarches faites en sa faveur ne furent pas couronnées de succès et il dut reprendre la route de Bruxelles en février 1739. Il y mourut en 1741.
Pour ses contemporains, Rousseau était considéré comme « le prince de nos poètes lyriques ». Lorsqu’il mourut, Lefranc de Pompignan lui consacra une ode magnifique dont Sainte-Beuve a dit avec malice qu’elle était la plus belle ode due à Rousseau.