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Révolte des esclaves à Saint-Domingue

samedi 3 août 2024, par lucien jallamion (Date de rédaction antérieure : 3 septembre 2019).

Révolte des esclaves à Saint-Domingue

Le 22 août 1791 débute une révolte des esclaves dans la colonie française de Saint-Domingue, dans les Antilles.

Au terme d’une affreuse guerre de libération, elle mènera à l’indépendance du pays sous le nom d’Haïti.

La colonie de Saint-Domingue se situe dans les Grandes Antilles, dans la partie occidentale de l’île d’Hispanolia [1], du nom “Isla espanola” que lui avait donné son découvreur Christophe Colomb le 6 décembre 1492. Ses premiers habitants étaient de pacifiques Indiens Taïnos [2], du groupe des Arawaks [3]. Ces Indiens ont disparu tragiquement suite à la colonisation européenne, victimes du travail forcé, des persécutions et des maladies. Les esclaves africains débarquèrent dès 1502 pour remplacer les Indiens dans les maisons et les mines d’or.

Indiens et Noirs ne manquent pas de se révolter. C’est ainsi qu’un cacique [4] du nom d’Henri se réfugie dans les montagnes avec des compagnons indiens et noirs et parvient à maintenir son indépendance pendant 13 ans. C’est le début du marronnage [5].

En 1535, le gouverneur de l’ile fait venir des plants de canne à sucre des îles Canaries [6] et encourage leur plantation pour compenser l’épuisement des mines d’or.

Au 17ème siècle des boucaniers [7] français commencent de s’installer sur l’île voisine de la Tortue [8]. Eux-mêmes se dénomment pompeusement les “Frères de la côte”. Ce sont des chasseurs qui doivent leur nom au fait qu’ils consomment du boucan [9]. Ce sont aussi des pirates et des corsaires qui s’en prennent aux métaux précieux que les riches galions espagnols convoient du Mexique vers l’Espagne.

Leur présence, (ils sont près de 3000) attire l’attention du gouvernement français. En 1641, François Levasseur enlève l’île de la Tortue et l’année suivante, Timoléon Hotman de Fontenay dit le chevalier de Fontenay prend possession d’Hispanolia au nom du roi Louis XIII. En 1697, le roi Louis XIV se fait céder la partie occidentale d’Hispanolia par le traité de Ryswick [10] qui met fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg [11].

De son nom officiel “côtes et îles de Saint Domingue en l’Amérique sous le vent”, la colonie devient très vite la plus prospère des possessions françaises d’outre-mer grâce à ses plantations de café et de canne à sucre et à ses nombreux esclaves noirs.

À la veille de la Révolution française, Saint-Domingue assure près des 3/4 du commerce mondial de sucre ! En 1788, son commerce extérieur, évalué à 214 millions de francs, est supérieur à celui des États-Unis.

La colonie compte près de 600.000 habitants, dont 40.000 affranchis, essentiellement des mulâtres, et 500.000 esclaves noirs. Les affranchis n’ont pas les mêmes droits que les colons mais bénéficient d’une certaine aisance et sont parfois même propriétaires d’esclaves.

La majorité des esclaves sont nés en Afrique. Ils ont été introduits dans l’île dans le cadre de la traite [12] pratiqué par les Européens, au rythme effarant de 30.000 par an dans les années précédant la Révolution.

Dans le même temps, la partie espagnole de l’île, Santo Domingo [13], dépérit et compte à peine quelques dizaines de milliers d’habitants. Le sort de l’île est bouleversé par la Révolution française.

Le 15 mai 1791, à Paris, l’Assemblée nationale accorde timidement le droit de vote à certains hommes de couleur libres. Cette demi-mesure inquiète les colons blancs de Saint-Domingue qui songent à proclamer leur indépendance pour préserver leur île des idées séditieuses venues de Paris. Elle ne satisfait pas davantage les affranchis, qui attendent une véritable égalité de droit avec les colons, ni les esclaves, qui attendent une libération complète.

Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, les nègres marrons ainsi appelait-on les esclaves qui avaient fui les plantations et s’étaient réfugiés dans les forêts s’insurgent après une cérémonie vaudou [14] au Bois-Caïman [15], près de Morne-Rouge, sous la direction d’un prêtre vaudou, Dutty Boukman entouré de ses lieutenants.

Des centaines de sucreries et de caférières [16] sont détruites. Les Blancs eux-mêmes sont massacrés par centaines. C’est le début d’une longue et meurtrière guerre qui mènera à l’indépendance de la prospère colonie.

Les insurgés ne tardent pas à recevoir le soutien inespéré des affranchis, irrités que les révolutionnaires aient fait exécuter plusieurs d’entre eux, dont François Ogé, coupables d’avoir réclamé l’égalité des droits.

La révolte est prise en main par un cocher de 48 ans nommé François Toussaint le futur Toussaint Louverture qui a été affranchi 15 ans plus tôt. Il entre au service de François Biassou et ne tarde pas à faire la preuve de son courage et de ses talents de stratège. Le surnom de L’ouverture ou Louverture s’ajoute à son nom en raison de la bravoure avec laquelle il enfonce les brèches ! Le 28 mars 1792, l’Assemblée législative établit une égalité de droit entre tous les hommes libres à l’exception des esclaves mais cette nouvelle demi-mesure intervient trop tard pour arrêter l’insurrection.

En 1793, l’Espagne entre en guerre contre la France. Madrid, qui occupe la partie orientale de l’île, Santo Domingo, offre à Biassou et Toussaint Louverture de combattre les Français à ses côtés en échange d’une promesse de liberté générale. Les insurgés acceptent et Toussaint Louverture reçoit le grade de lieutenant général dans les armées espagnoles. Il commande 4000 hommes et bientôt vole de succès en succès.

Face à la révolte des esclaves et aux menaces d’invasion anglaise et espagnole, les commissaires de la République française, Léger-Félicité Sonthonax et Étienne Polverel , se résignent à proclamer la liberté générale des esclaves.

C’est chose faite le 29 août 1793 dans la province du Nord et le 4 septembre dans les parties ouest et sud.

La Convention généralise ces décisions par le décret du 6 pluviôse An II ( [17]) en abolissant l’esclavage dans l’ensemble des colonies françaises.

Voyant cela, certains planteurs n’hésitent pas à appeler les Anglais à leur secours. 3 mois plus tard, en mai 1794, 7.500 soldats anglais venus de la Jamaïque voisine débarquent à Haïti et s’emparent de la capitale, Port-au-Prince [18].

Heureusement pour la France, Toussaint Louverture prend conscience de la fragilité du soutien espagnol : Madrid tarde à concrétiser sa promesse de libération des esclaves. En définitive, le héros noir décide de faire front commun avec les révolutionnaires français, leur sachant gré d’avoir libéré les esclaves.

Il intervient avec ses troupes aux côtés du général Étienne de Lavaux , et la Convention le nomme général de division le 17 août 1794.

Les Anglais sont bientôt battus et décimés par une épidémie de fièvre jaune [19] à laquelle les Noirs sont, eux, presque insensibles. En octobre 1798, Toussaint Louverture reçoit leur reddition au nom de la République française. Il prend dès lors en main le gouvernement de l’île et s’applique à rassurer les planteurs. La prospérité ne tarde pas à revenir.

Toussaint Louverture réoccupe le 27 janvier 1801 la partie orientale de l’île, que l’Espagne avait cédé à la France en 1795 par le traité de Bâle [20]. Cette initiative déplaît à Napoléon Bonaparte , qui gouverne à ce moment-là la France avec le titre de Premier Consul.

Le libérateur de Saint-Domingue n’en a cure et le 8 juillet 1801, il proclame l’autonomie de l’île et se nomme Gouverneur général à vie de la nouvelle République.

P.-S.

Source L’Histoire du 18ème siècle Source : Imago mundi Texte de Léonardon/ article de Fabienne Manière/herodote/ evenement/17720428/dossier 414

Notes

[1] Hispaniola est une île de la mer des Caraïbes dans l’archipel de même nom, la plus peuplée des Antilles avec 76 000 km2 la deuxième en superficie après l’île de Cuba. C’est en outre la 22ème plus grande île du monde. Elle est partagée entre deux pays : Haïti pour 36 % de la superficie et la République dominicaine

[2] Les Taïnos, ou Tainos, sont une ethnie autochtone des Antilles issue de la tribu mère des Arawaks, qui occupait les grandes Antilles lors de l’arrivée des Européens au 15ème siècle. Malgré leur quasi-disparition au 16ème siècle, plus de la moitié de la population antillaise, plus particulièrement des Cubains, Haïtiens, Portoricains et Dominicains, ont des origines taïnos

[3] Les Arawaks sont des populations des Caraïbes issus de la forêt amazonienne, proches de la culture saladoïde. Le nom d’Arawaks qu’on leur a donné ne désigne pas un peuple en particulier, mais une famille linguistique à laquelle se rattachent de nombreuses populations amérindiennes d’Amazonie, dont les populations Kali’na ou Kalinago.

[4] chef indien

[5] nom donné aux fuites d’esclaves dans la forêt

[6] Les îles Canaries sont un archipel de l’océan Atlantique situé au large des côtes du Maroc. Les Canaries font partie de la Macaronésie, un ensemble géographique regroupant les territoires insulaires volcaniques des îles Canaries, de Madère, des Açores et du Cap-Vert situés à l’ouest et proches des côtes nord-africaines. L’archipel des îles Canaries est le plus grand et le plus peuplé de la Macaronésie

[7] Par extension, le terme de boucanier a désigné un écumeur de mer, un pirate, après que les boucaniers se sont associés aux flibustiers sous le vocable de « Frères de la côte ». Il s’agit alors d’aventuriers, corsaires ou pirates, qui vivaient essentiellement du produit de leur chasse et de contrebande. Certains flibustiers, fatigués de la course, rejoignaient leurs rangs, alors qu’au contraire, certains boucaniers prenaient temporairement la mer sur les navires flibustiers de passage. Par la suite, la France les reconnut et leur envoya un gouverneur en 1665. Les boucaniers furent ainsi à l’origine de la colonie française de Saint-Domingue, qui deviendra quelque temps plus tard, sous le nom d’Haïti, la première nation « noire » du monde moderne. Une nation d’anciens esclaves, de parias et de rebelles, qui obtinrent leur indépendance dans le sang et la révolte, tout comme ces Frères de la côte qui furent leurs ancêtres…

[8] L’île de la Tortue est une île de l’océan Atlantique, située au nord-ouest d’Hispaniola. Elle constitue une commune d’Haïti dépendant du département du Nord-Ouest et de l’arrondissement de Port-de-Paix. Nommée du fait de sa forme Tortuga de mar (« Tortue de mer ») par Christophe Colomb, cette île des Antilles était un bastion pour les flibustiers et boucaniers qui écumaient les Caraïbes au 17ème siècle et a été le premier territoire de Saint-Domingue colonisé par la France.

[9] c’est-à-dire de la viande séchée à la fumée

[10] Les traités de Ryswick signés les 20-21 septembre 1697 à Ryswick, ville hollandaise des faubourgs de La Haye, mirent fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg entre Louis XIV et la ligue d’Augsbourg. Les négociations traînaient en longueur. Louis XIV fit un ultimatum aux coalisés. La paix devait être signée avant le 20 septembre. Un délai supplémentaire était accordé à l’Empereur Léopold 1er. La France signa trois premiers traités le 20 septembre avec respectivement les Provinces-Unies, l’Angleterre et l’Espagne, puis un second avec le Saint Empire romain germanique, le 30 octobre. Louis XIV accepta de reconnaître Guillaume III d’Orange-Nassau comme roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume III.

[11] La guerre de la Ligue d’Augsbourg, également appelée guerre de Neuf Ans, guerre de la Succession Palatine ou guerre de la Grande Alliance, eut lieu de 1688 à 1697. Elle opposa le roi de France Louis XIV, allié à l’Empire ottoman et aux jacobites irlandais et écossais, à une large coalition européenne, la Ligue d’Augsbourg menée par l’Anglo-néerlandais Guillaume III, l’empereur du Saint Empire romain germanique Léopold 1er, le roi d’Espagne Charles II, Victor Amédée II de Savoie et de nombreux princes du Saint Empire romain germanique. Ce conflit se déroula principalement en Europe continentale et dans les mers voisines, mais on y rattache le théâtre irlandais, où Guillaume III et Jacques II se disputèrent le contrôle des îles britanniques, et une campagne limitée entre les colonies anglaises et françaises et leurs alliés amérindiens en Amérique du Nord. Cette guerre fut la deuxième des trois grandes guerres de Louis XIV.

[12] nom donné au trafic d’esclaves

[13] Saint-Domingue est la capitale ainsi que la plus grande ville de la République dominicaine. Elle est située sur la côte sud de l’île d’Hispaniola que le pays partage avec Haïti. Saint-Domingue est située en bordure de la mer des Caraïbes, à l’embouchure de la rivière Ozama. Fondée en 1502, Santo Domingo est le plus vieux site de peuplement espagnol et européen des Amériques habité sans discontinuité et fut le premier siège du pouvoir espagnol dans le Nouveau Monde.

[14] Le vaudou ou vodou, plus rarement appelé vaudouisme, est une religion originaire des peuples Adja-Ewe-Fon (Afrique de l’Ouest). Parfois assimilé à des pratiques occultes éclatées en de multiples communautés, cette religion d’ordre cosmique issue des cultes animistes africains, est toujours largement répandue au Bénin, au Ghana et au Togo. À partir du 17ème siècle, les hommes capturés, réduits en esclavage, originaires de cette région d’Afrique répandirent le culte vaudou aux Caraïbes et en Amérique. Le vaudou se retrouve donc sous différentes formes à Cuba, en Haïti (vaudou haïtien), au Brésil ou encore aux États-Unis (notamment en Louisiane). Il s’est aussi répandu en Afrique du Nord, où il se retrouve sous différentes formes, dont la plus connue est le Gnawa au Maroc mélangé au folklore religieux berbéro-musulman. Le culte vaudou compte environ 50 millions de pratiquants dans le monde.

[15] La révolte du Bois-Caïman débute par une réunion d’esclaves marrons la nuit du 14 août 1791, considérée en Haïti comme l’acte fondateur de la révolution et de la guerre d’indépendance. C’est le premier grand soulèvement collectif de Haïti contre l’esclavage.

[16] plantations de café

[17] 4 février 1794

[18] Port-au-Prince est la capitale et la ville plus peuplée des communes d’Haïti. Du point de vue administratif, Port-au-Prince est à la fois le chef-lieu du département de l’Ouest et de l’arrondissement de Port-au-Prince. C’est la deuxième ville francophone d’Amérique, après Montréal. Elle prit le nom de Port-Républicain pendant la Révolution française.

[19] Le virus de la fièvre jaune, ou virus amaril, est l’agent infectieux qui, chez l’homme, provoque la fièvre jaune. Ce flavivirus est le premier à avoir été isolé, à la fin des années 1920. Le vecteur de ce virus est un moustique du genre Aedes en Afrique ou Haemagogus en Amérique du sud.

[20] La version définitive du traité a été signée le 22 juillet 1795. Il était composé d’un préambule et de 17 articles mais également de 3 articles secrets et séparés. Dans le traité, on établissait que la France restituait les territoires occupés en Espagne, qui, en compensation du recouvrement des territoires des Pyrénées, céderait à la France la partie orientale de Saint-Domingue (la République dominicaine actuelle). Les Français contrôlaient déjà la partie occidentale de l’île, Saint-Domingue, l’actuel Haïti, depuis la signature du traité de Rijswijk en 1697, les relations commerciales entre les deux pays seraient régularisées. Les autorités espagnoles sont obligées d’évacuer le territoire dominicain. La colonisation française de l’île de Saint-Domingue entière est officielle.