Fille de Louis-Charles d’Albert , duc de Luynes, et de sa seconde épouse, Anne de Rohan-Montbazon, elle eut pour parrain, à son baptême en l’église Saint-Eustache [1], Jean-Baptiste Colbert, dont on lui donna les prénoms.
Le 25 août 1683, après une éducation à Port-Royal, on lui fit épouser à l’âge de 13 ans et demi Auguste-Manfroy-Joseph-Hiérosme-Ignace Scaglia, comte de Verua (francisé en Verrue), colonel de dragons et diplomate piémontais qui l’emmena avec lui à la cour de Savoie à Turin et dont elle eut 4 enfants.
Puis le duc de Savoie Victor Amédée II de Sardaigne tomba follement amoureux d’elle vers 1688. Elle repoussa longtemps ses avances avant de céder, trahie par sa famille et « encouragée » par Louis XIV à devenir sa maîtresse quasi-officielle. Ils eurent deux enfants qui furent tous deux légitimés en 1701.
Alors qu’elle jouissait d’une position enviable et d’une réelle influence politique elle fut sans doute l’instigatrice, avec l’ambassadeur René de Froulay de Tessé du choix de l’épouse de Louis de France duc de Bourgogne lors du traité de Turin du 20 août 1696. Elle organisa avec ses deux frères une évasion d’Italie rocambolesque le 4 octobre 1700 pour trouver refuge au tout début 1701 dans le couvent de sa tante, rue du Cherche-Midi. Elle devint veuve lorsque son mari fut tué à la bataille de Hochstädt [2] le 13 août 1704.
On raconte que, guérie elle-même d’une tentative d’empoisonnement de la part d’ennemis en Italie, elle en remit le remède à Mme de Ventadour , ce qui contribua à sauver, en 1712, le futur Louis XV de la rougeole qui emporta son frère aîné, le duc de Bretagne. Cet épisode lui valut la reconnaissance et l’amitié de Louis XV . Madame de Verrue devint alors familière de la cour. Elle fut notamment l’amie intime du duc de Bourbon et de sa mère, la princesse douairière de Condé Louise-Françoise de Bourbon .
Après avoir vécu recluse pendant plus de trois années à la demande de son mari elle s’éprit alors de Jean-Baptiste Glucq dit de Saint Port selon Saint-Simon. Tous les ans, quand la cour était à Fontainebleau, elle séjournait au château de Sainte-Assise [3], que Glucq possédait à Seine-Port [4]. Elle séjournait également au château de Condé à Condé-en-Brie [5] chez un autre de ses intimes, le marquis Jean-François Leriget de La Faye .
Amie des lettres, des sciences et des arts, elle renoua des liens avec une société choisie d’écrivains et de philosophes français, notamment Voltaire, qu’elle admirait.
À Paris, elle installa les nombreux cadeaux reçus lorsqu’elle se morfondait en Italie, dans l’hôtel d’Hauterive [6] agrandi pour accueillir une collection de plus en plus étoffée, et acheta aux Carmes voisins des maisons qu’elle loua au fur et à mesure à des relations. Elle y tint un salon où se pressèrent des fidèles comme l’abbé Jean Terrasson , Charles d’Orléans de Rothelin , le garde des sceaux Germain-Louis Chauvelin , Jean-François Melon, Jean-Baptiste de Montullé , le marquis de Lassay Armand de Madaillan de Lesparre et son fils Léon de Madaillan de Lesparre, comte de Lassay et bien d’autres qui vinrent se fixer près de chez elle.
Sa fortune ayant été encore accrue par le système de Law [7], elle projeta les plans de deux hôtels jumeaux à faire construire par l’architecte Victor Dailly, dont ne reste de nos jours que le no 1 rue du Regard. L’hôtel Verrue que la comtesse n’habita jamais, devait alors se situer au no 8 de la rue d’Assas et sa construction ne commença qu’en 1740 ; de même que le plafond de son hôtel d’Aubeterre [8], peint par Claude Audran , se trouve aujourd’hui au musée des arts décoratifs [9] de Paris.
Elle mourut en 1736. Elle n’oublia personne dans son testament, pas même les oiseaux exotiques de son étonnante volière ...
La comtesse de Verrue possédait une magnifique collection de tableaux de maître, d’objets d’art et de meubles de prix. Elle dépensait sans compter pour acheter gravures, bijoux, pierres précieuses (plus de 8 000), pièces de monnaie, tapisseries, tabatières en or, vêtements... Elle commanda des tableaux à de nombreux artistes.
Mais la comtesse de Verrue est surtout connue comme l’une des plus grandes bibliophiles de son temps. Elle devait posséder environ 18 000 volumes (à Paris et à Meudon). La partie de sa bibliothèque conservée à Paris fut dispersée en 1737 par le libraire Gabriel Martin, dans un catalogue de 3 000 références. L’autre partie, restée sur place à Meudon, fut encore agrandie par ses héritiers et passa partiellement dans la bibliothèque du duc et de la duchesse d’Aumont, puis dans celle de leurs héritiers le duc et la duchesse de Villeroy, qui fut confisquée à la Révolution.