La personnalité de ce compositeur hors norme et sa musique méritent de s’y attarder. Il portait à l’origine un prénom différent mais nous ne savons pas pourquoi et dans quelles circonstances il décida de changer son prénom d’origine, à savoir Jan Lukas, pour celui d’un larron repenti, crucifié aux côtés de Jésus. C’est là l’une des premières énigmes entourant ce musicien tchèque parmi les plus grands compositeurs de l’ère baroque.
Son père Jirí [1] est depuis 1676 organiste [2] et cantor [3] de l’église de Launowitz [4]. Il épouse le 7 novembre 1677 Maria Magdalena Hajek.
Ce père chef de chœur, organiste, instituteur vient avec sa famille de la Sumava [5] qui fait frontière entre la République Tchèque et l’Allemagne. Il signera toute sa vie Jiřík [6] et occupera les fonctions de Cantor à Launowitz pendant 48 ans.
Jan Dismas et son frère commencent à se familiariser à la musique et à chanter avec lui. On envoie le premier à Prague [7], à peine distant d’une trentaine de kilomètres où il va étudier chez les pères jésuites du collège du Clementium [8], centre intellectuel de la contre-réforme réputé.
Beaucoup de compositeurs tchèques baroques font leur apprentissage chez les jésuites qui s’étaient installés dans cette province rebelle et tentaient de monopoliser un enseignement religieux et artistique de qualité. Il écrira 3 cantates pour le Clementium, sa première œuvre connue datant de 1709 les suivantes de 1712 et 1716. Parallèlement à ses études au Clementium, il fréquente aussi Bohuslav Matěj Černohorský, moine de l’ordre des cordeliers [9], maître dans l’art du contrepoint [10], fortement influencé par l’école de la polyphonie vénitienne [11].
Au collège du Clementium, il entreprend des études humanistes, suit des cours de latin, de grec, améliore ses connaissances en allemand, apprend l’italien. Il chante à l’église Saint Nicolas de Malá Strana [12]. Cette grande église baroque somptueuse appartenait aux jésuites du Clementium. En 1709/1710 il joue de la contrebasse dans l’orchestre d’un riche mécène pragois, le comte Von Hartig. Il partit en 1710 pour Dresde où il fit toute sa carrière entrecoupée de séjours à Venise et à Vienne où il aurait pris des leçons respectivement avec Lotti et Fux . Il sera entouré de quelques-uns des meilleurs musiciens de son temps dans les instruments à vent et instruments à cordes.
En 1697, le prince électeur de Saxe Frédéric Auguste 1er avait du se convertir au catholicisme pour hériter de la couronne du royaume de Pologne. Pour preuve de sa sincérité, il avait fait construire une nouvelle église qui était administrée par les jésuites de la province de Bohême [13].
Ceux-ci n’hésitaient pas à y envoyer de jeunes musiciens tchèques servir la liturgie catholique laissant aux musiciens de la cour le soin de se produire pour des occasions plus solennelles et prestigieuses. Entre 1716 et 1719, Zelenka voyage. La réponse à sa demande rédigée sous forme de lettre écrite en 1712, signée du 31 janvier et accompagnée du manuscrit de sa messe de Sainte Cécile a pris plusieurs années mais l’autorisation est enfin accordée par le Prince Electeur.
Il a demandé à voyager pour étudier et se perfectionner en écriture en Italie, ce qui n’est pas une surprise mais aussi en France. Il souhaite non seulement se perfectionner dans le style d’église mais pour la France, c’est le bon goût qu’il veut acquérir. Frédéric Auguste 1er avait une inclination pour l’art français. Chanteurs, musiciens, acteurs venus de France séjournaient et se produisaient dans la capitale saxonne. Zelenka connaissait personnellement Jean-Baptiste Volumier , violoniste virtuose formé à Paris, en poste à Dresde [14] où il diffusa les principes de l’école française, le hautboïste François le Riche. Un autre musicien français les rejoindra dans cet orchestre, en 1715, le flûtiste Pierre-Gabriel Buffardin .
S’il ne réalise pas son vœu de séjourner en France, il partira bien en Italie via l’Autriche. C’est un petit groupe de compositeurs et musiciens de Dresde qui prend la route en 1716 avec Zelenka et non des moindres : Christian Petzold, Johann Georg Pisendel , et Johann Christian Richter , tous au service de la cour de Dresde à des postes importants. Le musicien originaire de Launowitz, s’accommodant des obligations de son service, est envoyé d’abord à Vienne pour se mettre à la disposition du prince héritier en quête d’une épouse.
Il ne serait pas surprenant qu’il soit aussi passé par Prague, sur la route entre les deux capitales. Il pourrait avoir apporté à cette occasion sa cantate composée pour le Klementinum en 1716. À Vienne, il rencontre J.J. Fux, maître de Chapelle de la cour impériale avec lequel il prend des cours qu’il aurait payé de ses propres deniers ! Le Bohêmien a 35 ans. Il donne à son tour des leçons de contrepoint pendant ce séjour au flûtiste et hautboïste Johann Joachim Quantz .
Johann David Heinichen , Maitre de Chapelle [15], Zelenka son assistant et Ristori, Directeur de la Chapelle polonaise, collaborent afin d’assurer les nombreux services et cérémonies et une production musicale de haut niveau.
L’opéra de Dresde ferme en 1720 pour cause de scandale. Il rouvrira en 1726. Aussi les activités musicales de la Chapelle royale redoublent-t-elles. Revenu à Dresde, il obtint en 1721 le titre de vice maître de chapelle pour la musique d’église à la cour de Auguste le Fort. Il fut amené à remplacer de plus en plus souvent le Maître de Chapelle, Heinichen, souvent malade, et nourrit l’espoir intime de lui succéder.
Il est nommé directeur de la musique d’église et Johann Adolf Hasse , plus italianisant, dont la musique est plus au gout de la cour, devient le nouveau maître de chapelle.
En 1723 a lieu à Prague un événement exceptionnel. Charles VI de Habsbourg et son épouse Élisabeth Christine de Brunswick-Wolfenbüttel se font couronner roi et reine de Bohême. Ce geste symbolique d’une grande importance, non dénué d’arrière-pensées politiques, donne lieu à des festivités somptueuses.
Prague est alors la capitale d’une province de l’empire encore parcourue fréquemment de révoltes et de soulèvements paysans dus à une situation économique difficile et une lourde imposition. Les pays de Bohême, sous administration autrichienne, ont subi de longues années de guerres de succession où ils ont perdu une partie de leur territoire.
Zelenka a gardé depuis le début de sa carrière à la cour de Dresde un contact régulier avec son ancien collège. Pour cet évènement celui-ci lui a commandé un mélodrame. Cette commande porte un nom digne de ces festivités, l“e mélodrame de saint Venceslas ou la resplendissante couronne royale tchèque sous les branches de l’olivier pacifique et de la palme de la vertu” [16] !
Zelenka en dirige la préparation et la représentation à la bibliothèque du Klementinum le 12 septembre 1723 devant l’empereur et son épouse.
František Benda , âgé de 14 ans, membre de la chapelle de la cour de Dresde, chante l’une des 8 parties solistes, toutes confiées, selon la tradition, à des tchèques ayant étudié ou étudiant encore au Klementinum.
L’œuvre parcourue d’influences italiennes remporte un immense succès, certains aristocrates allant même jusqu’à préférer l’œuvre de Zelenka à celle de Fux. Le mélodrame dure plus de 3 heures. Il demande un effectif considérable dans sa forme intégrale (solistes, chœur, orchestre, danseurs, acteurs, figurants...). Jamais celui-ci ne sera repris plus tard !
Notre compositeur bohémien, fêté et admiré, heureux de ce séjour parmi les siens, peut rentrer à Dresde satisfait et avec l’espoir de succéder un jour au poste de maître de chapelle de la cour qu’il assiste désormais de plus en plus. Le pauvre Heinichen, fatigué, est débordé et n’a plus la force de répondre à toutes les sollicitations d’écrire de la musique pour le service de l’église. Zelenka en assume désormais l’essentiel tout en continuant d’être rémunéré comme instrumentiste de second rang.
Le prince-électeur, soucieux de rouvrir d’abord l’opéra a d’autres projets le fait patienter. Zelenka commence à rédiger en 1726 l’inventaire de sa bibliothèque musicale [17] qui a été conservé et contient des informations passionnantes sur le contenu de la collection et la connaissance de Zelenka de la musique de son époque.
Heinichen meurt en 1729. Zelenka signe maintenant “Compositor di S M : Re di Polonia” mais rien ne se passe, aucune nouvelle de sa nomination.Ristori, J.B. Volumier, espèrent aussi succèder à Heinichen. Entretemps, une troupe de chanteurs italiens est arrivée dans la capitale saxonne en 1730. Elle prélude à une autre arrivée, celle de Hasse en 1731. L’opéra revient à la mode.
La venue de Hasse et son installation à Dresde vont bouleverser le destin de Jan Dismas Zelenka. Curieusement sa production commence à diminuer peu après même si son style compositionnel atteint son apogée avec les cinq messes des années 1736-1741.
Frédéric Auguste 1er meurt en 1733. Zelenka compose la musique de la cérémonie et présente à l’automne, le 18 novembre 1733, à son successeur Frédéric Auguste II une émouvante requête pour être nommé au poste de maître de chapelle. Il y a si longtemps qu’il patiente ! Il demande également à ce qu’on lui rembourse certaines de ses dépenses datant de son passage à Vienne, un supplément de salaire pour avoir suppléer Heinichen avant qu’il ne meure et remplacé après.
Cette supplique en français est encore accompagnée de 8 arias italiens destinés à montrer ses qualités de compositeur de musique profane.
Zelenka avait manifestement compris que l’intérêt, le goût et la mentalité de la cour étaient en train de changer et se portaient désormais de plus en plus vers l’opéra. Un vent au parfum de bel canto napolitain souffle sur Dresde. Zelenka tente de « réactualiser » en partie son style musical mais en vain. L’intérêt pour sa musique commence à décliner.
Il n’est pas sur que Frédéric-Auguste II ait apprécié cette requête ou tout simplement ne goûtait-il plus le style de la musique, la personnalité du musicien tchèque ou encore nourrissait-il d’autres projets ? Il choisit le compositeur d’opéra Johann Adolf Hasse, de 20 ans son cadet, au poste de maître de Chapelle en 1733. Sa femme, la cantatrice Faustina Bordoni devient prima donna et virtuosa da camera de la cour électorale.
Zelenka est officiellement nommé compositeur d’église en 1735. Cette nomination ne change rien à sa situation psychologique et matérielle. Pire ! Sa production chute vertigineusement de 1741 à la fin de sa vie. Il passe les dernières années de plus en plus isolé sans pouvoir entendre sa propre musique qui tourne le dos aux effets de mode et reste compositeur d’église jusqu’à sa mort le 23 décembre 1745. Dresde est menacée. Les troupes prussiennes de Frédéric II font le siège de la ville, la bombarde. Sa disparition passe presque inaperçue.
S’il a passé pratiquement toute sa vie en Allemagne, Zelenka est le plus grand représentant de la musique baroque tchèque, bohémienne, pour être plus exact.
Bien qu’une partie de son travail ait été perdue au cours des années, et beaucoup ait été détruite à Dresde, beaucoup de copies ont été heureusement préservées à Prague. Ce fut seulement pendant les dernières décennies des années 1900 que Zelenka "a été vraiment redécouvert".