Grégoire le Patrice
Exarque de Carthage
Parent probable de la dynastie des Héraclides [1], Grégoire était un partisan de l’Église chalcédonienne [2] et mena une rébellion en 646 contre l’Empereur Constant II en réaction au soutien de ce dernier au monothélisme [3].
Après avoir usurpé le titre impérial, il fit face à une invasion arabe en 647. Il affronta les envahisseurs et fut vaincu lors de la bataille de Sufétula [4], où il périt.
Grégoire le patrice était un champion de l’orthodoxie et avait protégé Maxime le Confesseur. La population berbère [5] l’appréciait et il jouissait même de la sympathie du pape Théodore 1er.
Grégoire était lié par le sang à l’empereur Héraclius et à son petit-fils Constant II, et était peut-être le fils du cousin d’Héraclius, Nicétas. Grégoire est d’abord attesté comme exarque [6] d’Afrique [7] en juillet 645 mais a peut-être déjà été nommé exarque sous Héraclius.
Héraclius, désirant une solution de compromis sur le débat concernant la nature du Christ, se tournera vers le Monothélisme, c’est-à-dire que le Christ possède une seule volonté. En 638, Héraclius fait promulguer l’Ekthésis [8], afin d’imposer le Monothélisme à tout l’empire. Si certains patriarches d’Orient l’acceptent, il y aura aussi des opposants. En 640, le pape Jean IV condamne l’Ekthésis et Maxime le Confesseur s’y opposera fermement. Les populations berbères restèrent attachés aux traditions de l’orthodoxie et les innovations en matière de foi de l’empereur les indignaient.
En 643, les Omeyyades [9] avaient capturé la Cyrénaïque [10] et la moitié de la Tripolitaine [11], avec Tripoli [12]. Omar ordonne l’arrêt de leur expansion.
Pour calmer les tensions religieuses dans l’exarchat, Grégoire le patrice organisa en juillet 647 un débat public entre Maxime le Confesseur, un proéminent défenseur de l’orthodoxie chalcédonienne, et Pyrrhus, monothélite et patriarche de Constantinople [13]. À la conclusion du débat, Pyrrhus se convertit à l’orthodoxie et accompagna Maxime à Rome. Cependant, Constant II tenait à imposer le Monothélisme.
C’est dans ce contexte religieux que deux des trois principaux gouverneurs en occident, les exarques Olympios et Grégoire le Patrice vont se rebeller.
En 646, Grégoire lance une rébellion contre Constant II. La raison était le soutien de ce dernier au monothétisme, mais c’était sans doute aussi une réaction à la conquête musulmane d’Égypte et la menace que les musulmans présentaient sur l’Afrique byzantine. Compte tenu de l’échec du gouvernement impérial à Constantinople à arrêter l’avancée des musulmans, c’était une grande tentation pour le puissant gouverneur d’Afrique de se séparer de l’empire faible et éloigné qui semblait incapable de défendre ses sujets. Les différences doctrinales, ainsi que l’autonomie établie depuis longtemps de l’exarchat, ont renforcé cette tendance.
Outre les motifs religieux, il est possible que la révolte de Grégoire le Patrice soit une tentative de résistance et d’indépendance contre le fardeau fiscal imposé par Constantinople [14] sur la province.
Il semble que Maxime le Confesseur et le Pape Théodore 1er ont encouragé ou au moins soutenu Grégoire dans cette aventure. La révolte semble avoir trouvé un large soutien parmi les berbères romanisés, mais aussi parmi les berbères de l’intérieur.
Grégoire s’installa à l’intérieur des terres, dans la ville de Sufétula [15], ce qui le protégeait d’une éventuelle expédition punitive à Carthage [16] par des troupes impériales. De là, il était possible de surveiller et contrôler l’intérieur des terres. De plus, la région environnante était riche en agriculture, ce qui permettait d’approvisionner les soldats et montures.
En 647, le successeur d’Omar, Othman, ordonna à Abdallah ibn Saad d’envahir l’Exarchat avec 20 000 hommes. Les musulmans ont envahi l’ouest de la Tripolitaine et se sont avancés jusqu’à la limite du nord de la province byzantine de Byzacène [17].
Grégoire s’est confronté aux Arabes à leur retour à Sufétula, mais a été vaincu et tué.
Après la mort de Grégoire, les Arabes ont mis à sac Sufétula et ont attaqué les travers de l’exarchat, tandis que les Byzantins se sont retirés dans leurs forteresses. Incapables d’assaillir les fortifications byzantines, satisfaits des énormes pillages qu’ils avaient faits, les Arabes acceptèrent de partir en échange du paiement d’un lourd tribut en or
Notes
[1] Les Héraclides sont les soixante fils d’Héraclès, et par extension ses descendants qui conquièrent le Péloponnèse. Au sens restreint, le terme désigne les fils d’Hyllos, fils du héros et de Déjanire. Parmi les autres Héraclides, on trouve les Thespiades, nés de l’union d’Héraclès avec les cinquante filles de Thespios.
[2] Le chalcédonisme est une doctrine christologique englobant les églises et les théologiens chrétiens qui acceptent la définition donnée au concile de Chalcédoine (451) concernant la liaison entre la nature divine et humaine de Jésus-Christ. Bien que la plupart des Églises chrétiennes modernes soient chalcédoniennes, entre le 5ème et 8ème siècle, l’ascendance du christianisme chalcédonien n’était pas toujours assurée. Les disputes dogmatiques soulevées lors du synode conduisirent au schisme chalcédonien et à la formation d’un corps d’Églises non chalcédoniennes, connues sous le nom d’Églises orthodoxes orientales ou Églises des trois conciles. Les Églises chalcédoniennes restèrent unies à Rome, Constantinople et les trois autres patriarcats grecs de l’Est (Alexandrie, Antioche et Jérusalem), et furent organisées sous Justinien II au concile in Trullo sous le nom de Pentarchie. La majorité des Chrétiens arméniens, syriens, coptes et éthiopiens rejetèrent la définition chalcédonienne, et sont rassemblées dans les Églises orthodoxes orientales. Cependant, certains Chrétiens arméniens (en particulier en Cappadoce et dans la région de Trébizonde dans l’Empire byzantin), acceptèrent les décisions du concile de Chalcédoine et prirent part à des polémiques contre l’Église apostolique arménienne. Les Églises de tradition syriaque parmi les Églises catholiques orientales sont également chalcédoniennes.
[3] Doctrine inventée pour réconcilier l’Église orthodoxe grecque avec les monophysites, mais condamnée comme hérétique par le concile œcuménique de 680.
[4] La bataille de Sufétula a lieu en 647, à Sufétula (actuelle Sbeïtla, en Tunisie), entre les armées de l’exarchat de Carthage, menées par Grégoire le Patrice, et les armées du califat des Rachidoune, menées par le général Abdallah Ibn Saad. La bataille se conclut par la déroute des Byzantins, et la mort de Grégoire.
[5] Les Berbères sont les membres d’un groupe ethnique autochtone d’Afrique du Nord. Connus dans l’Antiquité sous le nom de Libyens, les Berbères ont porté différents noms durant l’histoire, tels que Mazices, Maures, Numides, Gétules, Garamantes et autres. Ils sont répartis dans une zone s’étendant de l’océan Atlantique à l’oasis de Siwa en Égypte, et de la mer Méditerranée au fleuve Niger en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, la majeure partie des Berbères vit en Afrique du Nord : on les retrouve au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Libye, au Niger, au Mali, en Mauritanie, au Burkina Faso, en Égypte, mais aussi aux Îles Canaries. De grandes diasporas vivent en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie, au Canada et dans d’autres pays d’Europe
[6] L’exarchat peut prendre deux sens, le premier est politique et administratif qui est propre à l’empire romain d’Orient et l’autre est ecclésiastique propre à l’Église orthodoxe. L’exarchat est une organisation de certains territoires périphériques de l’empire byzantin, mise en place au 6ème siècle pour faire face à la menace d’envahisseurs. L’exarchat est dirigé par un exarque qui concentre les pouvoirs civils et militaires. Cette organisation visait à réagir de façon optimale aux dangers menaçant l’empire dans ses régions périphériques, sans avoir à attendre les ordres venus de Constantinople. Ils bénéficiaient d’un plus grand degré d’indépendance que les autres gouverneurs provinciaux. Seuls deux exarchats furent constitués, à Ravenne contre l’invasion des Lombards, et à Carthage. Les autres provinces de l’empire byzantin reçurent progressivement une organisation semblable, mais sous le nom de « thèmes ». Les exarques civils étaient de véritables vice-rois, à qui l’on confiait le gouvernement de plusieurs provinces tandis que les exarques ecclésiastiques étaient des délégués du patriarche de Constantinople ou du Saint-Synode, chargés de visiter les diocèses, et de surveiller la discipline et les mœurs du clergé. Dans les Églises d’Orient, un exarque est un évêque qui a reçu mission de représenter un patriarche auprès d’un autre patriarche ou dans un lieu qui n’est le territoire d’aucune Église orthodoxe autocéphale. L’exarchat est à la fois la dignité de l’exarque, l’ensemble des paroisses et des fidèles placés sous sa responsabilité ainsi que l’église et les bâtiments qui en constituent le siège. C’est en quelque sorte un évêché sans diocèse et sans structure prévue pour durer. C’est une façon de s’adapter à des circonstances particulières, absence d’une église locale organisée, nécessité d’assurer une vie liturgique à un personnel diplomatique. Un exarchat possède un statut dérogatoire par rapport au principe de la territorialité de l’organisation ecclésiastique. L’évêque mentionné dans les diptyques n’est pas l’évêque du lieu mais le primat représenté par l’exarque. On peut comparer l’exarchat ecclésiastique à extra-territorialité de bâtiments diplomatiques. Les métropolites des "Nouvelles Terres" du Nord et de l’Est de la Grèce ont reçu du patriarche œcuménique de Constantinople des titres d’exarque qui rappellent leur appartenance au Patriarcat œcuménique de Constantinople.
[7] L’exarchat de Carthage est le domaine relevant de l’Empire byzantin et correspondant aux anciennes provinces d’Afrique et de Numidie ainsi qu’aux îles de Corse et de Sardaigne (judicats de Sardaigne).
[8] L’ecthèse est le nom d’un Symbole de foi proclamé en 638 par l’empereur Héraclius et probablement rédigé par le patriarche Serge 1er de Constantinople. Il tente de susciter une réunion ecclésiale des monophysites arméniens, des sévériens d’Égypte et des jacobites de Syrie afin notamment de reconquérir l’appui des Ghassanides qui s’étaient alliés avec les musulmans et avaient pris les armes contre Byzance. Acceptée en 639 par un synode de Constantinople présidé par le patriarche Pyrrhus, cette tentative de conciliation de l’orthodoxie (dogme de Chalcédoine) et du monothélisme est par ailleurs condamnée par le pape Jean IV en 640.
[9] Les Omeyyades, ou Umayyades sont une dynastie arabe de califes qui gouvernent le monde musulman de 661 à 750. Ils tiennent leur nom de leur ancêtre Umayya ibn Abd Shams, grand-oncle de Mahomet. Ils sont originaires de la tribu de Quraych, qui domine La Mecque au temps de Mahomet. À la suite de la guerre civile ayant opposé principalement Muʿāwiyah ibn ʾAbī Sufyān, gouverneur de Syrie, au calife ʿAlī ibn ʾAbī Ṭalib, et après l’assassinat de ce dernier, Muʿāwiyah fonde le Califat omeyyade en prenant Damas comme capitale, faisant de la Syrie la base d’un Califat qui fait suite au Califat bien guidé et qui devient, au fil des conquêtes, le plus grand État musulman de l’Histoire.
[10] La Cyrénaïque est une région traditionnelle de Libye dont le nom provient de la Cyrénaïque antique, province romaine située autour de l’ancienne cité grecque de Cyrène. Ce territoire fait aujourd’hui partie de la Libye.
[11] La Tripolitaine est une région historique de la Libye dont le nom, qui signifie « trois villes » en grec ancien, vient de Oea, Leptis Magna et Sabratha, les trois villes les plus importantes de la région depuis l’Antiquité. La Tripolitaine a ensuite donné son nom à Tripoli, appellation moderne d’Oea.
[12] Le nom de la cité proviendrait du grec Tripolis. Elle aurait été nommée ainsi du fait de sa séparation en trois parties distinctes par les commerçants venant de Tyr, Sidon et Aradis. À partir de 1070, Tripoli est sous la domination de la famille Banû ’Ammâr, qui s’est rendue indépendante des califes fatimides d’Égypte. En 1102, lors de la première croisade, la ville est assiégée par Raymond IV de Saint Gilles et défendue par le cadi Fakhr al-Mulk ibn-Ammar. Le siège dure près de 10 ans, infligeant de lourds dégâts à la ville, qui tombe aux mains des croisés en 1109. Elle est ensuite, durant le temps des croisades, la capitale du comté de Tripoli, l’un des principaux États francs du Levant.
[13] Le patriarcat œcuménique de Constantinople est, par le rang sinon par l’ancienneté, la première juridiction autocéphale de l’Église orthodoxe. Cette situation est liée au statut de capitale de l’Empire romain d’Orient dont jouissait autrefois Constantinople, l’actuelle Istanbul. Le patriarcat est un titre et une fonction de présidence attachée à un siège épiscopal, l’archevêché orthodoxe de Constantinople. Les orthodoxes considèrent que le patriarche de Constantinople n’a qu’une prééminence honorifique sur les autres Églises autocéphales orthodoxes, comme les papes d’avant le schisme de 1054.
[14] Constantinople est l’appellation ancienne et historique de l’actuelle ville d’Istanbul en Turquie (du 11 mai 330 au 28 mars 1930). Son nom originel, Byzance, n’était plus en usage à l’époque de l’Empire, mais a été repris depuis le 16ème siècle par les historiens modernes.
[15] Sbeïtla connue dans l’Antiquité sous le nom de Sufetula, est une ville du centre de la Tunisie.
[16] Carthage est une ville tunisienne située au nord-est de la capitale Tunis. L’ancienne cité punique, détruite puis reconstruite par les Romains qui en font la capitale de la province d’Afrique proconsulaire, est aujourd’hui l’une des municipalités les plus huppées du Grand Tunis, résidence officielle du président de la République, regroupant de nombreuses résidences d’ambassadeurs ou de richissimes fortunes tunisiennes et expatriées. La ville possède encore de nombreux sites archéologiques, romains pour la plupart avec quelques éléments puniques,
[17] La Byzacène est un ensemble régional correspondant à l’actuelle Tunisie mais qui peut correspondre à certains moments de son histoire à des entités administratives distinctes.