Bienvenue sur mon site historique. Bon surf

L’histoire pour le plaisir

Accueil du site > De 300 av.jc à 100 av. notre ère > Hérophile ou Hérophile de Chalcédoine

Hérophile ou Hérophile de Chalcédoine

dimanche 12 décembre 2021, par lucien jallamion

Hérophile ou Hérophile de Chalcédoine (vers 330/320 av. jc-260/250 av. jc)

Médecin grec né à Chalcédoine en Asie Mineure [1]. Avec Érasistrate, il fut parmi les premiers médecins à s’intéresser au corps en bonne santé et à essayer de comprendre le fonctionnement normal du corps, contrairement à la tradition hippocratique qui était entièrement axée sur le problème de la maladie. Cette nouvelle dimension épistémique de la médecine se fit par l’étude de l’anatomie, obtenue par la dissection du corps animal et humain.

Hérophile s’installa à Alexandrie [2] qui était devenu un centre de recherche scientifique majeur de la civilisation hellénistique. Là, bénéficiant de l’ouverture d’esprit et du goût de l’innovation caractéristique de cette cité, il pu librement pratiquer des autopsies et distinguer les veines des artères, les nerfs sensitifs des nerfs moteurs, analyser la nature du pouls et élucider la structure de nombreux autres organes.

On lui attribue 9 traités d’anatomie mais aucun n’a survécu à l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie [3]. Ses travaux ont été cités notamment par Rufus d’Éphèse , Soranos , Celse et Galien.

Durant l’Antiquité gréco-romaine, l’histoire de l’anatomie, commencée timidement avec Hippocrate, poursuivie plus amplement avec Aristote, connut avec Hérophile et l’école d’Alexandrie [4] d’importantes innovations grâce aux recours à la dissection des corps humains. Cette période féconde se termine par la contribution majeure de Galien, dont les nombreux écrits jouiront d’une immense autorité durant le Moyen Âge.

L’édifice intellectuel imposant laissé par les Grecs se figea ensuite en un canon magistral qui réglementa strictement la pensée médicale pendant plus d’un millénaire. Il fallut l’audace d’anatomistes de la Renaissance, comme Vésale, qui à l’image d’Hérophile, sur la base d’une intense activité d’observation de corps humains disséqués, osa remettre en cause les grands maîtres à penser de l’Antiquité et poursuivre la marche en avant des découvertes.

On ne sait pas non plus avec certitude où Hérophile a reçu sa formation médicale, mais on sait qu’il a eu pour maître Praxagoras de l’île de Cos [5], lieu célèbre pour son école hippocratique. Il a donc dû étudier auprès de son maître dans l’île de Cos, à moins que ce ne soit à Alexandrie.

Hérophile se fixa par la suite à Alexandrie où il pratiqua la médecine dans la première moitié du 3ème siècle av. jc.

À Alexandrie, il a pratiqué la dissection, souvent en public, afin de pouvoir expliquer ce qu’il faisait aux spectateurs. Les dissections de cadavres humains étaient interdites à l’époque dans la plupart des villes, à l’exception d’Alexandrie.

Hérophile a invité Érasistrate à devenir son élève. Ensemble, ils ont fondé à Alexandrie une école de médecine, l’école hérophiléenne, qui attirait des étudiants venus de tout le monde antique.

Après la mort d’Hérophile, les recherches anatomiques ont cessé progressivement jusqu’à ce que Mondino de’ Liuzzi recommence à disséquer les cadavres humains, près de 1600 ans plus tard.

Dans ce lieu privilégié, Hérophile va créer la première véritable école de médecine. Jusque-là, les « écoles » de Cos ou de Cnide [6], n’étaient que des regroupements de type familial de quelques disciples, guidés par un maître. Ces cercles informels n’avaient rien à voir avec l’institution soutenue par l’État, que furent le Musée avec sa Bibliothèque, sous la protection des Ptolémées. Désormais, à Alexandrie, il y avait une médecine savante, produite par des maîtres prestigieux travaillant dans des institutions de recherche, et une médecine courante et populaire, pratiquée par une foule de praticiens obscurs.

Dans cette nouvelle ville grecque fondée à l’ouest du delta du Nil, Hérophile bénéficiera du climat exceptionnel de refondation intellectuelle qui y régnait et de la levée du puissant tabou touchant les cadavres humains. Il pourra pratiquer au grand jour la dissection systématique des corps humains et jeter les bases d’une anatomie plus exacte. L’école d’Hérophile s’y établira et y prospéra pendant plusieurs siècles.

Les travaux d’Hérophile apportèrent une série de progrès significatifs dans la connaissance anatomique de l’homme. L’innovation majeure consistait dans la description du corps en bonne santé, ignorée de la tradition hippocratique focalisée sur la maladie. Il se rapprochait en cela du modèle anatomophysiologique d’Aristote. En niant l’utilité pour la médecine de recourir à la théorie des éléments et cherchant à la fonder sur l’observation anatomique, Hérophile restait fidèle à la division aristotélicienne entre philosophie de la nature et médecine scientifique.

Il faudra attendre environ 2 000 ans pour que le défi posé par Hérophile soit véritablement relevé. Ce fut d’abord le médecin italien Morgagni qui au 18ème siècle établit les bases de la compréhension de la maladie par l’étude du substrat anatomique.

Après Hérophile, la médecine alexandrine amorce un virage conservateur marqué par un retour à la tradition hippocratique. Ce mouvement se caractérise par deux phénomènes : l’abandon des études anatomiques et le retour aux commentaires des textes hippocratiques.

La fin de la « nouvelle frontière intellectuelle » alexandrine se produisit au milieu du 2ème siècle av. jc avec la crise de la monarchie ptolémaïque et l’expulsion des intellectuels d’Alexandrie par Ptolémée III Évergète.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de Jacques Brunschwig et Geoffrey Lloyd (préf. Michel Serres), Le Savoir grec : Dictionnaire critique, Flammarion, 1996 (réimpr. 2011), 1096 p. (ISBN 2-08-210370-6)

Notes

[1] actuellement Kadiköy en Turquie

[2] Alexandrie est une ville en Égypte. Elle fut fondée par Alexandre le Grand en -331 av. jc. Dans l’Antiquité, elle a été la capitale du pays, un grand centre de commerce (port d’Égypte) et un des plus grands foyers culturels hellénistiques de la mer Méditerranée centré sur la fameuse bibliothèque, qui fonda sa notoriété. La ville d’Alexandrie est située à l’ouest du delta du Nil, entre le lac Maréotis et l’île de Pharos. Cette dernière était rattachée à la création de la ville par l’Heptastade, sorte de digue servant aussi d’aqueduc, qui a permis non seulement l’extension de la ville mais aussi la création de deux ports maritimes.

[3] Le Mouseîon d’Alexandrie en Égypte ptolémaïque, est l’un des plus importants centres intellectuels du monde hellénistique. La construction du musée est l’une des nombreuses illustrations de la politique culturelle de Ptolémée 1er, celle de la recherche d’une véritable suprématie intellectuelle lagide. L’ancien sômatophylaque d’Alexandre le Grand voulut faire de son musée celui du monde grec, à l’image du vers d’un poète grec rapporté par Athénée de Naucratis dans son Deipnosophistes, faisant du musée du mont Hélicon celui de la Grèce. Expression du désir constant de conserver des liens avec la tradition et culture grecque, le musée d’Alexandrie a été par la même occasion le moyen pour les Ptolémées de prôner une supériorité culturelle face à des rivaux antigonides et attalides qui redoublaient d’efforts pour édifier de nombreux musées et académies. Malgré son important endommagement en 47 av.jc, le musée d’Alexandrie a survécu, notamment par l’héritage qu’il a légué partout en Europe. Le Mouseîon est définitivement fermé le 16 juin 391, sur un édit de l’empereur Théodose 1er, ce dernier ordonnant la fermeture de tous les temples païens, acte signant la mort du polythéisme par son interdiction.

[4] Dans un sens classique et restreint, l’école médicale d’Alexandrie regroupe les médecins alexandrins de la période hellénistique. Elle est très renommée pour ses découvertes anatomiques, dont les plus importantes sont celles d’Hérophile et de son contemporain et rival Érasistrate, au 3ème siècle av. jc.

[5] Kos ou Cos est une île grecque faisant partie de l’archipel du Dodécanèse, dans la mer Égée.

[6] Cnide ou Knidos est une ville de la Grèce antique située sur les côtes de Carie, dans l’actuelle Turquie, au nord de l’île de Rhodes.