Né à Rome et passé à la postérité pour son épopée, La Gerusalemme liberata [1], où il dépeint une version très romancée des combats qui opposèrent les chrétiens aux musulmans à la fin de la Première Croisade [2], au cours du siège de Jérusalem [3].
Souffrant, depuis ses 30 ans de maladie mentale, il mourut alors que le pape allait le couronner roi des poètes. Jusqu’au début du 19ème siècle, Le Tasse fut l’un des poètes les plus lus en Europe : Jean-Jacques Rousseau fut un de ses admirateurs.
Né à Sorrente [4], il était le fils d’un aristocrate de Bergame [5], Bernardo Tasso , poète lyrique et épique d’un certain renom, longtemps secrétaire au service du dernier prince de Salerne [6], Ferrante Sanseverino . Sa mère, Porzia de Rossi, était une aristocrate de Toscane [7] étroitement liée aux plus illustres familles napolitaines. Lorsque le prince de Salerne, en conflit ouvert avec le gouverneur espagnol de Naples [8], fut mis au ban et dépouillé de ses terres, Bernardo Tasso suivit son maître en exil.
En 1552 il vivait à Naples avec sa mère et son unique sœur Cornelia, suivant les leçons des Jésuites [9], qui venaient d’établir un collège en cette ville. La précocité de l’enfant et sa ferveur religieuse firent l’admiration unanime des pères : à seulement 8 ans, il était déjà célèbre.
Il partit vivre avec son père qui vivotait dans la plus grande pauvreté à Rome. En 1556, tous deux apprirent par hasard que Porzia était morte à Naples dans des circonstances suspectes. Son mari était d’ailleurs convaincu qu’elle avait été empoisonnée par son frère, avide d’hériter de ses biens.
C’est en 1565 que Le Tasse fit son entrée à la cour de Ferrare [10], où il devait par la suite faire l’expérience de la plus grande gloire mais aussi de la misère morale la plus profonde.
Il semble que les années 1565-1570 furent les plus heureuses de sa vie, malgré le chagrin que la disparition d’un père, en 1569, déclencha chez cette âme infiniment sensible. Jeune homme élégant, rompu à tous les exercices qui font la distinction d’un gentilhomme, familier des beaux esprits, déjà célèbre pour ses œuvres versifiées et en prose, il s’imposa comme l’idole de la cour la plus brillante d’Italie.
Il dédia les deux premiers recueils de ses 500 odes à deux dames de la cour, Lucrezia Bendidio et Laura Peverara ou Peperara , qui excellaient au chant. Les princesses Lucrèce d’Este et Éléonore d’Este, toutes deux célibataires et ses aînées d’une dizaine d’années, le prirent sous leur protection et l’admirent dans le cercle de leurs intimes : il fut toute sa vie redevable de la tendresse indéfectible des deux sœurs envers lui.
Il accompagna le cardinal d’Este à Paris en 1570. Mais sa franchise un peu brutale, conjuguée à un manque de tact caractéristique lui perdirent la faveur de son mécène. Il quitta la France l’année suivante, pour entrer au service du duc Alphonse II de Ferrare. Les quatre années suivantes furent marquées par la publication d’Aminta en 1573. Sa parution coïncide avec le moment où, sous l’impulsion de Palestrina, la musique commença à s’imposer comme le premier des arts en Italie.
Le Tasse, dépassé par ses écrits de jeunesse, en proie à l’excitation de la vie de cour et à un travail littéraire surhumain, s’effondra alors devant l’accumulation des difficultés : sa santé devint chancelante. Il se plaignait de maux de tête, souffrait de surcroît de fièvres malariennes, et cherchait à s’éloigner de Ferrare.
Au cours de ces années 1575/1577, la santé du Tasse continuait de se détériorer, et la jalousie poussait les autres courtisans à se moquer de lui et à intriguer à ses dépens. Son caractère orgueilleux, susceptible et irritable, et sa pusillanimité en faisaient une proie facile à la malveillance. Tout au long des années 1570, il se développa chez le Tasse une manie de persécution qui fit de lui le type du poète maudit, solitaire et à demi-fou.
À l’automne 1576, le Tasse s’en prit à un gentilhomme de Ferrare, Maddalo, qui avait évoqué un peu légèrement son homosexualité ; la même année, il reprocha à son amant Luca Scalabrino son amour pour un jeune homme de 21 ans, Orazio Ariosto ; un jour de l’été 1577, il menaça d’un poignard un domestique sous les yeux de la duchesse d’Urbino, Lucrezia d’Este. Il fut arrêté, puis le duc le libéra, et l’emmena avec lui dans sa villa.
À l’été 1578 il s’enfuit à nouveau : il gagna Mantoue [11], puis Padoue [12], Venise [13], Urbino [14], et traversa toute la Lombardie [15]. Au mois de septembre il avait rallié Turin [16] à pied, et fut reçu courtoisement par le duc Emmanuel-Philibert de Savoie. Vagabond rejeté de toutes parts, il recevait pourtant où qu’il aille les honneurs dus à sa réputation. Les princes étaient heureux de lui ouvrir leurs portes, à la fois par compassion et par admiration pour son génie. Mais assez vite, il lassait ses hôtes et épuisait leur patience par ses soupçons et ses accès de colère. Enfin, il ne pouvait vivre longtemps loin de Ferrare : n’y tenant plus, il écrivit de nouveau au duc d’Este, et retrouvait le château en février 1579.
Le Tasse arriva à Ferrare la veille des noces du duc. Alphonse, en effet, était sur le point de se marier pour la 3ème fois, cette fois avec une princesse de la Maison de Mantoue. Il n’avait toujours pas d’enfant, et à moins qu’il n’en ait un désormais, son duché tomberait selon toute probabilité aux mains du Saint Siège. Ce fut une cérémonie triste, le prince n’entreprenant cette union que par nécessité dynastique.
Le Tasse, qui ne pensait, comme toujours, qu’à ses propres soucis, n’eut aucun égard pour ceux de son protecteur. Il se plaignit qu’on lui avait attribué des logements au-dessous de sa condition. Sans faire aucun effort pour ménager les apparences aux yeux de ses vieux amis, il fit preuve d’un comportement indécent, et c’est sans cérémonie qu’on l’expédia à l’hospice Sainte-Anne : c’était au mois de mars 1579 ; il devait y demeurer jusqu’en juillet 1586. La patience du duc Alphonse était à bout : il était fermement convaincu que le poète était devenu fou, et jugeait que l’hospice Sainte-Anne était l’établissement le plus sûr pour lui
Cette réclusion fut sans doute un calvaire pour un homme amoureux des raffinements et des plaisirs comme l’était le Tasse. Pourtant au bout de quelques mois, il se voyait octroyer des appartements spacieux, il pouvait recevoir ses amis, sortir lorsqu’il était pris en charge par ses hôtes, et correspondre librement. C’est ainsi que Montaigne lui rendit visite en 1581
L’un des traits singuliers de la destinée du Tasse, c’est qu’alors que les atteintes de la maladie mentale, de la déchéance physique et de la perte d’inspiration semblaient devoir le condamner à l’oubli, la roue de la fortune parut tourner à son avantage. Le pape Clément VIII monté sur le trône en 1592, voulut organiser le triomphe du poète. Avec son neveu, le cardinal Aldobrandini de San Giorgio, il l’invita en 1594 à Rome pour qu’il y reçoive la couronne de lauriers sur le Capitole comme Pétrarque avant lui.
Épuisé par la maladie, Le Tasse n’arriva à Rome qu’au mois de novembre. La cérémonie de son couronnement dut être reportée à cause d’une maladie du cardinal Aldobrandini, mais le pape le gratifia cependant d’une pension ; en outre, sous la menace d’un blâme pontifical, le prince Avellino, héritier des oncles maternels du Tasse, dut consentir à verser une rente viagère au grand poète en dédommagement.