Hürrem dite Roxelane (vers 1500-1558)
Épouse du sultan Soliman le Magnifique après en avoir été l’esclave
Le poète Samuel Twardowski qui fit partie d’une ambassade dans l’Empire ottoman [1] au tournant des 16ème et 17ème siècles rapporte avoir appris à la cour d’Istanbul [2] qu’Hürrem était la fille d’un prêtre orthodoxe, probablement ruthène [3], de Galicie [4], alors partie du royaume polono-lituanien [5]. Elle aurait été capturée par des Tatars [6] lors d’un de leurs raids et fut emmenée comme esclave, probablement d’abord à Kaffa [7], en Crimée [8], puis à Constantinople [9].
La date précise de son entrée au harem du sultan Soliman n’est pas connue mais se situe aux alentours de l’accession au trône du prince en septembre 1520. Elle lui donne un premier fils en 1521, Mehmed. Elle devient rapidement la favorite du sultan, qui délaisse ses autres concubines dont Mahidevran , mère de son fils aîné Şehzade Mustafa et entretient avec Hürrem une relation exclusive.
Probablement vers juin 1534, elle est affranchie et devient l’épouse légitime de Soliman, ce qui constitue une rupture avec la tradition ottomane.
Au cours des années 1530, elle quitte l’ancien palais, résidence habituelle de la famille du sultan, et s’installe dans le nouveau palais où elle se retrouve plus proche du Sultan.
Roxelane est parfois considérée comme ayant joué un rôle plus ou moins actif dans l’élimination de Pargali Ibrahim Pacha , un favori de Soliman, en 1536.
Le principal prétendant à la succession au trône était alors Sehzade Mustafa, fils aîné de Soliman. En 1553, une fausse lettre du prince héritier Mustafa au chah d’Iran lui demandant son aide pour renverser Soliman est interceptée. Mustafa se précipite chez son père pour se justifier, seul et sans arme. Soliman tue son fils le 6 novembre 1553, tout en le pleurant.
À sa mort le 15 avril 1558, Roxelane est enterré dans un mausolée décoré en tuiles d’İznik [10] décrivant le jardin du paradis, en hommage à sa nature joyeuse et souriante. Son mausolée est adjacent à celui de Soliman, structure séparée et plus sombre située dans la mosquée Süleymaniye [11].
Elle est aussi la conseillère de Soliman et semble avoir eu une influence considérable sur la politique étrangère de ce dernier. 2 de ses lettres au roi de Pologne Sigismond II Auguste ont ainsi été conservées, et, de son vivant, l’empire Ottoman conserve des relations généralement pacifiques avec cet État. Les ambassadeurs de l’Europe entière s’adressent à elle et lui font parvenir des cadeaux. Certains historiens pensent aussi qu’elle est intervenue auprès de son époux pour contrôler le trafic d’esclaves organisé par les Criméens sur sa terre natale.
À côté des affaires politiques, Roxelane s’engage aussi dans un certain nombre de grands travaux, de La Mecque [12] à Jérusalem [13], peut-être en s’inspirant du modèle des fondations caritatives créées par Zubaida, femme du calife Haroun ar-Rachid. Parmi ces premières fondations on trouve une mosquée, deux écoles coraniques, une fontaine et un hôpital pour femmes à côté du marché aux femmes esclaves d’Istanbul.
Notes
[1] L’Empire ottoman, connu historiquement en Europe de l’Ouest comme l’Empire turc, la Turquie ottomane ou simplement la Turquie, est un empire fondé à la fin du 13ème siècle au nord-ouest de l’Anatolie, dans la commune de Söğüt (actuelle province de Bilecik), par le chef tribal oghouze Osman 1er. Après 1354, les Ottomans sont entrés en Europe, et, avec la conquête des Balkans, le Beylik ottoman s’est transformé en un empire trans-continental. Après l’avoir encerclé puis réduit à sa capitale et à quelques lambeaux, les Ottomans ont mis fin à l’Empire byzantin en 1453 par la conquête de Constantinople sous le règne du sultan Mehmed II. Aux 15ème et 16ème siècles, à son apogée, sous le règne de Soliman 1er le Magnifique, l’Empire ottoman était un empire multinational et multilingue contrôlant une grande partie de l’Europe du Sud-Est, des parties de l’Europe centrale, de l’Asie occidentale, du Caucase, de l’Afrique du Nord, sauf le royaume du Maroc et le Sahara.
[2] Istanbul ou Istamboula, appelé officiellement ainsi à partir de 1930 et auparavant Constantinople, est la plus grande ville et métropole de Turquie et la préfecture de la province homonyme, dont elle représente environ 50 % de la superficie mais plus de 97 % de la population.
[3] Les Ruthènes forment un groupe ethnique moderne qui parle le rusyn (ruthène moderne) originaires des Carpates. Le terme avait au 19ème siècle et au début du 20ème siècle un sens bien plus large et servait, surtout dans l’Empire austro-hongrois, à désigner les populations aujourd’hui désignées comme ukrainiennes en parallèle avec celui, désuet, de Petits-Russes ou Petits-Russiens dominant dans l’Empire russe.
[4] En 1378, la Galicie autour de Lviv fut partiellement rattachée à la Hongrie pour 9 ans. À la mort de Louis en 1382, le grand-duc de Lituanie Ladislas II Jagellon épousa la reine de Pologne Hedwige. Ainsi les deux pays furent liés l’un à l’autre, formant une Union qui accueillit de nombreux Juifs chassés d’autres pays européens, notamment des Ashkénazes d’Allemagne. Le mouvement hassidique s’y développa fortement, avec de nombreuses dynasties de rabbins. En 1387, Ladislas Jagellon reconquit la Galicie pour la Pologne, qui la conserva jusqu’au premier partage de la Pologne en 1772.
[5] L’union de Pologne-Lituanie (ou Union polono-lituanienne) est une série d’actes d’alliance entre le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie, à partir de 1385, qui aboutissent à la création en 1569 de l’État fédéral de la république des Deux Nations (Rzeczpospolita), une république aristocratique dirigée par un roi élu, ainsi qu’à la volonté de création d’un État unitaire éphémère de 1791 à 1793, pendant la période des partages de la Pologne (de 1772 à 1795).
[6] Les Tatars ou Tartares est un nom collectif donné à des peuples turcs d’Europe orientale et d’Asie. La plupart des Tatars vivent au centre et au sud de la Russie, en Ukraine, en Bulgarie, en Chine, au Kazakhstan, en Roumanie, en Turquie, et en Ouzbékistan. Ils forment par ailleurs, l’un des cinquante-six groupes ethniques recensés par la République populaire de Chine.
[7] Théodosie ou Feodossia est une ville de la république autonome de Crimée, en Ukraine, intégrée à la municipalité de Théodosie. Théodosie s’est appelée Caffa lorsqu’elle fut colonie génoise et Kefe à l’époque ottomane. Elle s’appelle toujours Kefe en tatar de Crimée.
[8] La Crimée est une péninsule située dans le Sud de l’Ukraine et à l’ouest du kraï de Krasnodar en Russie, qui s’avance dans la mer Noire. La péninsule de Crimée est réputée pour son climat pontique proche du climat méditerranéen, ses vignobles, ses vergers, ses sites archéologiques et ses lieux de villégiature. Correspondant à l’antique Tauride, la Crimée a fait partie, de l’Antiquité au 13ème siècle, du monde grec devenu romain puis byzantin, tout en étant ouverte au nord aux peuples des steppes (Cimmériens, Scythes, Goths, Mongols, turcophones…) pour rejoindre au 15ème siècle l’Empire ottoman et à la fin du 18ème siècle l’Empire russe.
[9] Constantinople est l’appellation ancienne et historique de l’actuelle ville d’Istanbul en Turquie (du 11 mai 330 au 28 mars 1930). Son nom originel, Byzance, n’était plus en usage à l’époque de l’Empire, mais a été repris depuis le 16ème siècle par les historiens modernes.
[10] İznik est à la fois une ville et un district administratif dans la province de Bursa en Turquie. Elle était connue auparavant sous le nom de Nicaea, francisé en Nicée, mot grec d’où est tiré son nom turc actuel. La ville gît dans un bassin fertile situé dans la partie orientale du lac d’İznik limitée au nord et au sud par des collines. La ville d’İznik se trouve à 80 km à l’est-nord-est de Bursa. À vol d’oiseau, elle se trouve à environ 90 km au sud-est d’Istanbul, mais à 200 km par les routes puisqu’il faut contourner le golfe d’İzmit pour s’y rendre. Ce parcours a toutefois été raccourci de près de 75 km suite à l’ouverture en 2016 du pont Osman Gazi.
[11] La mosquée Süleymaniye ou mosquée de Soliman est une mosquée impériale ottomane d’Istanbul, conçue par l’architecte Sinan pour le sultan Soliman le Magnifique et construite de 1550 à 1557. La mosquée Süleymaniye et son complexe représentent une organisation urbaine étendue dans une vaste zone comprenant une école coranique (darülkurra), un hôpital, un bain public (hamam), un hospice, six collèges de théologie, des soupes populaires, des magasins, et les mausolées (türbe) du sultan Soliman et de son épouse Roxelane (Hürrem Sultan). Cet édifice est situé sur l’une des collines d’Istanbul donnant sur la Corne d’or. La construction de la mosquée de Süleymaniye, à laquelle de nombreux artistes de l’époque (comme Ahmet Karahisar et son élève Hasan Çelebi pour les calligraphies) ont contribué, a été réalisée en tenant compte aussi bien de l’aspect global que des détails.
[12] La Mecque est une ville de l’ouest de l’Arabie saoudite, non loin de la charnière séparant le Hedjaz de l’Asir, à 80 km de la mer Rouge, et capitale de la province de la Mecque. Lieu de naissance, selon la tradition islamique, du prophète de l’islam Mahomet à la fin du 6ème siècle, elle abrite la Kaaba au cœur de la mosquée Masjid Al-Haram (« La Mosquée sacrée ») et la tradition musulmane a lié sa fondation à Ibrahim (Abraham), ce qui en fait la ville sainte la plus sacrée de l’islam. L’accès est interdit aux personnes qui ne sont pas de confession musulmane ainsi qu’aux femmes seules, même musulmanes
[13] Ville du Proche-Orient que les Israéliens ont érigée en capitale, que les Palestiniens souhaiteraient comme capitale et qui tient une place centrale dans les religions juive, chrétienne et musulmane. La ville s’étend sur 125,1 km². En 130, l’empereur romain Hadrien change le nom de Jérusalem en « AElia Capitolina », (Aelius, nom de famille d’Hadrien ; Capitolina, en hommage au dieu de Rome, Jupiter capitolin) et il refonde la ville. Devenue païenne, elle est la seule agglomération de la Palestine à être interdite aux Juifs jusqu’en 638. Durant plusieurs siècles, elle est simplement appelée Aelia, jusqu’en 325 où Constantin lui redonne son nom. Après la conquête musulmane du calife Omar en 638, elle devient Iliya en arabe, ou Bayt al-Maqdis (« Maison du Sanctuaire »), équivalent du terme hébreu Beit ha-Mikdash (« Maison sainte »), tous deux désignant le Temple de Jérusalem, ou le lieu du voyage et d’ascension de Mahomet, al-Aqsa, où se situait auparavant le temple juif