Sviatoslav 1er dit Sviatoslav le Brave ( 942-972)
Grand-duc varègue de la Rus’ de Kiev de 962 à 972
Membre de la dynastie des Riourikides [1]. Fils d’ Igor de Kiev et d’ Olga , il est connu pour ses conquêtes territoriales rapides autour de la Volga, de la Steppe pontique, des Balkans, lors de campagnes incessantes à l’est et au sud qui précipitèrent la chute de deux des plus grandes puissances d’Europe de l’Est, l’État khazar [2] et le premier Empire bulgare [3], ainsi que pour la soumission de nombreuses tribus Slaves orientales. Il battit également les Alains [4] et le Khanat bulgare de la Volga [5].
À la fin de sa courte vie, Sviatoslav s’était constitué un des plus grands États d’Europe, déménageant sa capitale de Kiev [6] à Pereïaslavets [7] sur le Danube en 969. En contraste avec la conversion au christianisme de sa mère Olga de Kiev plus tard appelée Sainte Olga, Sviatoslav restera sa vie durant un païen convaincu.
Les sources ne mentionnent pas son enfance et le début de sa vie, mais Sviatoslav, décrit comme ayant très peu de patience, est le premier des dirigeants de la Rus’ à être appelé par la Chronique de Nestor [8] sous un nom slave, et non plus nordique comme l’étaient ses aïeux.
Son père, le Grand-duc de Kiev Igor, meurt tué par la tribu des Drevliens [9] aux alentours de 945. Sa mère Olga Prekrasa, première dirigeante de la Rus’ à s’afficher officiellement chrétienne, elle s’est convertie au christianisme à la cour de Byzance de Constantin VII Porphyrogénète, dirige alors la principauté en tant que régente jusqu’à la majorité de Sviatoslav, en 962. Son tuteur est un varègue [10] nommé Asmud [11], la tradition d’avoir un tuteur varègue perdurant jusqu’au 11ème siècle chez les jeunes princes riourikides prétendants au trône de Kiev.
Il entre en guerre contre les Khazars en 964, puis finit par conquérir le cours inférieur de la Volga. Les origines du conflit entre Sviatoslav et les Khazars ne sont pas claires, certains pensent qu’il était dans l’intérêt de Kiev de se défaire de la tutelle khazare, qui contrôlait une partie de la route commerciale de la Volga, tandis que d’autres pensent que Byzance aurait incité Sviatoslav à les attaquer après que les Khazars furent entrés en conflit avec l’empereur Romain 1er Lécapène suite aux persécutions sur les juifs.
Après avoir réduit les Khazars au rang de vassaux tout comme les Viatitches [12], Sviatoslav entre ensuite en campagne sur le Danube en 967, où il défait les Bulgares, en accord avec le général byzantin Nicéphore II Phocas , et tue leur roi. Il est accompagné, en plus de ses troupes, de mercenaires oghouzes [13] et petchénègues [14], sans doute pour contrer les puissantes cavaleries bulgare et khazare.
Sviatoslav détruit la ville de Sarkel [15] vers 965, puis celle de Kertch [16] en Crimée, avant de détruire la capitale khazare Itil [17] vers 968 ou 969.
Il libère ensuite Kiev, assiégée par les Petchenègues, puis s’installe en Bulgarie, s’avance jusqu’à Andrinople [18] et menace Byzance. Mais l’empereur byzantin Jean 1er Tzimiskès annexe ensuite la Bulgarie orientale et chasse les Russes de Sviatoslav et réinstallant les rois bulgares, le forçant à demander la paix après le siège de Durostorum [19] en 971.
Craignant que la paix avec Sviatoslav le Brave ne dure pas, l’empereur byzantin complote alors pour le tuer et s’allie avec le Khan des Petchénègues, Kurya , mentionné dans l’ouvrage De Administrando Imperio [20]. Sviatoslav meurt finalement dans une embuscade dressée par les Petchénègues sur l’île fluviale de Khortytsia [21], au milieu du Dniepr [22]. Son vainqueur Kurya, guerrier farouche et audacieux vêtu d’une peau d’ours, convertit son crâne en hanap [23]. À cause de sa mort prématurée, les frontières de son État ne seront pas consolidées, ce qui amorcera les problèmes de succession.
De ses trois fils, deux légitimes se partagent la principauté. À l’aîné Iaropolk 1er est dévolu Kiev, au second Oleg les territoires conquis sur les Drevliens [24]. À Vladimir 1er, bâtard conçu avec une servante, Maloucha , fut concédé à la demande des gens de Novgorod [25] l’ancienne capitale de la principauté.
Notes
[1] La dynastie ruthène puis moscovite (d’origine varègue c’est-à-dire viking) des Riourikides ou Rurikides, issue de Riourik, régna sur la Rus’ de Kiev (ou Russie kiévienne) puis la Moscovie de 862 à 1598. Les Riourikides perdirent le trône en 1598 à la mort du tsar Fédor 1er, lorsque Boris Godounov prit le pouvoir. Une période troublée s’ouvrit alors, qui s’acheva par le couronnement de Michel Romanov, fondateur de la dynastie des Romanov, en 1613.
[2] Les Khazars étaient un peuple semi-nomade turc d’Asie centrale ; leur existence est attestée entre le 6ème et le 13ème siècle. Au 7ème siècle les Khazars s’établirent en Ciscaucasie aux abords de la mer Caspienne où ils fondèrent leur Khaganat ; une partie d’entre eux se convertirent alors au judaïsme qui devint religion d’État. À leur apogée, les Khazars, ainsi que leurs vassaux, contrôlaient un vaste territoire qui pourrait correspondre à ce que sont aujourd’hui le sud de la Russie, le Kazakhstan occidental, l’Ukraine orientale, la Crimée, l’est des Carpates, ainsi que plusieurs autres régions de Transcaucasie telles l’Azerbaïdjan et la Géorgie.
[3] Le Premier Empire bulgare désigne un État médiéval chrétien et multiethnique qui succéda au 9ème siècle, à la suite de la conversion au christianisme du Khan Boris, au Khanat bulgare du Danube, fondé dans le bassin du bas Danube. Le Premier Empire bulgare disparut en 1018, son territoire au sud du Danube étant réintégré dans l’Empire byzantin. À son apogée, il s’étendait de l’actuelle Budapest à la mer Noire, et du Dniepr à l’Adriatique. Après sa disparition, un Second Empire bulgare renaquit en 1187.
[4] Les Alains étaient un groupe de nomades scythes. Les Alains forment un peuple scythique, probablement originaire d’Ossétie. D’ailleurs, les Ossètes d’aujourd’hui se présentent comme les descendants directs des Alains. Ce sont des cavaliers nomades apparentés aux Sarmates et très proches des Iazyges, des Roxolans et des Taïfales.
[5] Le Khanat bulgare de la Volga est un des États héritiers du premier khanat bulgare ; il exista dans la région de la confluence de la Volga et de la Kama, entre le 7ème siècle et le 13ème siècle jusqu’en 1236-1238, date à laquelle leur capitale Bolghar (aussi dénommée Bolgar ou Bulgar) fut détruite par la Horde d’or. Réuni jadis sous l’autorité d’un khan, son territoire est divisé de nos jours entre la république de Tatarstan et de Tchouvachie en Fédération de Russie.
[6] dans l’actuel Ukraine
[7] en actuelle Bulgarie
[8] La Chronique des temps passés, aussi appelée Chronique de Nestor est la plus ancienne chronique slave orientale qui nous soit parvenue. Ouvrage composite, compilé vers 1111 par un moine, Nestor, et poursuivie par ses continuateurs de la laure des Grottes de Kiev, elle retrace l’histoire de la Rus’ kiévienne de 858 (conversion des Bulgares après leur défaite aux mains du basileus Michel III) à 1113 (mort de Sviatopolk II et entrée de Vladimir à Kiev). La chronique se compose de deux parties : une première partie, qui sert d’introduction, retrace à partir des origines bibliques l’histoire de la Rus’ et des Slaves orientaux avant de se concentrer sur la fondation de Kiev et l’émergence de la Rus’. Les chapitres qui suivent relatent, sous forme chronologique, les règnes des douze premiers souverains rous’ jusqu’en 1113.
[9] La tribu des Drevliens, ou Drevlianes, est un peuple slave oriental, voisin de Kiev, qui a existé entre le 6ème et le 10ème siècle.
[10] Varègues ou Varanges est le nom donné dans l’Empire byzantin et par les Slaves orientaux aux Vikings de Suède qui, entre le 9ème et le 11ème siècle, ont fondé et gouverné l’État médiéval de la Rus’ et qui, par la suite, formèrent la garde varègue des empereurs byzantins.
[11] signifiant Rapide comme un léopard
[12] Les Viatitches sont un peuple slave oriental vivant dans le bassin de l’Oka puis colonisant le bassin de la Moskova et dont la présence est attestée dans les chroniques russes et dans de nombreux vestiges archéologiques. La dernière mention de ce peuple dans les Chroniques date de 1197 mais des témoignages indirects courent jusqu’au début du 14ème siècle.
[13] Les Oghouzes furent une confédération vivant au nord de la mer d’Aral dans l’actuel Kazakhstan. Lors de la migration des Turcs aux 10ème et 12ème siècles, ils firent partie des Turcs de la région de la mer Caspienne qui migrèrent vers le sud et l’ouest en direction de l’Asie occidentale et de l’Europe orientale, et non vers l’Est en direction de la Sibérie. Ils sont considérés comme les ancêtres des Turcs occidentaux modernes : Azéris, Turcs de Turquie, Turkmènes, Kachkaïs, Turcs du Khorassan et Gagaouzes, dont les effectifs combinés dépassent les cent millions.
[14] Les Petchénègues ou Petchenègues sont un peuple nomade d’origine turque qui apparaissent à la frontière sud-est de l’empire khazar au 8ème siècle. Ils s’installent au 10ème siècle au nord de la mer Caspienne. Selon la légende, ils constituent la tribu Peçenek des Oghouzes, issue de Dağ Han (« prince montagne »).
[15] Sarkel était une vaste forteresse construite en calcaire et en brique, édifiée par les Khazars avec l’aide de l’Empire byzantin dans les années 830. Son nom provient des briques de calcaire utilisées pour sa construction. Sarkel était située sur la rive droite du Don inférieur, dans l’actuel oblast de Rostov, en Russie.
[16] Kertch est située à l’extrémité orientale de la péninsule de Kertch, en Crimée, en face de la péninsule de Taman, en Russie, dont elle est séparée par le détroit de Kertch. Elle se trouve à 197 km au nord-est de Simféropol et à 718 km au sud-est de Kiev.
[17] Itil ou İtil ou Atil, était la capitale de la Khazarie entre le 8ème siècle et le 10ème siècle. La ville était située près de la ville moderne d’Astrakhan, sur le delta de la Volga lorsque cette dernière se jette dans la mer Caspienne. Le fleuve Volga s’appelle d’ailleurs İtil en langues turques, ce qui signifie grande rivière.
[18] Edirne (autrefois Andrinople ou Adrianople) est la préfecture de la province turque du même nom, limitrophe de la Bulgarie et de la Grèce. Elle est traversée par la Maritsa (Meriç en turc).
[19] Silistra est une ville du nord-est de la Bulgarie. Elle se trouve sur la rive sud du Danube. À la sortie est de la ville, la frontière entre la Bulgarie et la Roumanie quitte le fleuve pour rejoindre la mer Noire. Silistra est au bord de la Dobrogée, un plateau fertile partagé entre la Bulgarie et la Roumanie. Disputée du 10ème au 14ème siècle entre les Bulgares (depuis 679), les Byzantins (avant 679 et de 917 à 1186), les Pétchénègues, les Coumans, les Tatars (en 1224), les Alains, le despotat de Dobrogée, la Valachie et les Génois, pour finir par tomber aux mains des Turcs en 1388, Silistra devient une place fortifiée au coin nord-est du fameux Quadrilatère du Deli Orman (Roussé, Silistra, Choumen, Varna), résidence d’un pacha et capitale du pachalik de Silistra dit aussi Özi eyalet, une des provinces de l’Empire ottoman gouvernant toute la côte occidentale de la mer Noire, de Bourgas au Yedisan dans l’actuelle Ukraine.
[20] De administrando Imperio (« De l’administration de l’Empire ») est le titre communément utilisé d’un ouvrage savant écrit en grec ancien vers 950 par l’empereur byzantin Constantin VII et était destiné à être un manuel politique intérieur et étranger pour son fils et successeur, l’empereur Romanus II. Il contient des conseils sur le fonctionnement de l’empire multi-ethnique et également sur la manière de combattre les ennemis externes.
[21] Khortytsia est une île fluviale ukrainienne. Plus longue (12 kilomètres) et plus étendue (27 km²) des îles du Dniepr, elle se situe sur le territoire de Zaporijia, en aval du principal barrage hydroélectrique de la compagnie Dnipro-HES. L’île de Khortytsia est une terre sacrée pour les Cosaques ukrainiens. C’est dans cette île que fut édifié le camp militaire historique des Cosaques zaporogues, la sitch, rasé par Catherine II, impératrice de Russie, pour assurer son pouvoir sur l’Ukraine, et reconstruit à l’identique peu après l’indépendance du pays en 1991.
[22] Le Dniestr est un fleuve d’Europe de l’Est long de 1 362 km, ayant sa source dans les Beskides orientales en Ukraine occidentale. Il coule d’abord au nord-est puis vers le sud-est, passe à Sambir, Halitch, Khotin et Mohyliv-Podilskyï, devient frontalier de la Moldavie qu’il traverse ensuite, longe Soroca, Tighina, Tiraspol, repasse en Ukraine et se verse dans le liman du Dniestr près de la ville de Bilhorod-Dnistrovskyï (Bellegarde Pontique, Montecastro, Cetatea Albă) relié à la mer Noire, au sud-ouest d’Odessa. Historiquement, il naît en Galicie puis sépare la Podolie et le Yedisan, qui ont longtemps fait partie de la Lituanie, puis de la Pologne, enfin de la Russie (rive gauche), de la Moldavie (rive droite : Bessarabie). C’était une des voies fluviales des Varègues (Vikings de la Baltique) vers Constantinople.
[23] Une coupe en crâne est une coupe à boire faite d’un crâne humain. L’emploi du crâne d’un ennemi tué au combat pour en faire une coupe à boire est attesté chez de nombreux peuples de l’Antiquité et du Moyen Âge, notamment chez les nomades de la steppe eurasienne.
[24] La tribu des Drevliens, ou Drevlianes, est un peuple slave oriental, voisin de Kiev, qui a existé entre le 6ème et le 10ème siècle.
[25] Novgorod, est une ville historique du nord-ouest de la Russie et la capitale administrative de l’oblast de Novgorod. Novgorod est arrosée par la rivière Volkhov et se trouve à 6 km au nord du lac Ilmen, à 491 km au nord-ouest de Moscou et à 167 km au sud-est de Saint-Pétersbourg.