À la différence de la plupart de ses contemporains, lettrés aux origines modestes vivants de la générosité des puissants, il était un prince, apparenté à la famille royale de l’état de Han [1], petit royaume limitrophe du puissant état de Qin [2].
Malgré sa condition aristocratique, il ne semble pas avoir été un homme d’action, et son bégaiement l’empêcha de poursuivre une carrière politique.
Il se tourna donc vers la philosophie et les lettres, disciplines dans lesquelles il excella.
Il eut pour maître, au royaume de Chu [3], le célèbre Xun Zi, maître confucianiste [4] et membre éminent de l’Académie Jixia [5]. Son condisciple est alors un jeune fonctionnaire du Chu, Li Si, qui allait devenir son rival, et le principal ministre de la dynastie impériale de Qin.
De retour au royaume de Han, il écrit de nombreux traités de philosophie politique, sur la façon de gouverner, les stratégies à utiliser pour affermir l’autorité du souverain, ou encore les principaux "parasites" de la cour. Ces critiques répétées du système et des usages politiques ne lui permirent jamais d’avoir un poste officiel. Son essai “Frustrations d’un solitaire” traduit son sentiment à l’égard des flagorneurs de la cour, alors que “De la difficulté de conseiller”, un texte que ses ennemis allaient plus tard utiliser contre lui, fut écrit en réaction à ses tentatives pour avoir l’oreille du roi de Han, comme une mise en garde.
Il était un écrivain aussi brillant que prolifique, et la circulation de ses textes finit par le faire connaître hors de frontières du Han. Lorsque le roi Ying Zheng de Qin, qui allait devenir Qin Shi Huangi. Le Premier Empereur, les lut, il en fut admiratif. Il voulut rencontrer l’homme qui en était l’auteur. À cette époque, vers 234, le plus proche conseiller du roi de Qin n’était autre que Li Si, qui identifia les mots de son ancien condisciple. Li Si menait la politique agressive voulue par le roi, qui souhaitait l’unification des Royaumes combattants sous la bannière du Qin, et dont la première étape passait par l’invasion et l’annexion pure et simple du royaume de Han, qui était déjà son vassal.
Face à la menace, et ayant peut-être eu vent du désir du roi Ying Zheng, le roi de Han envoya en 234 Han Fei à Xianyang [6], capitale de Qin, afin de se servir du crédit dont il disposait auprès du jeune Ying Zheng et de plaider la cause de son état.
Il s’acquitta de sa tâche avec son talent habituel, la version écrite de sa plaidoirie, “Comment préserver Han”, démontre toute l’imagination et l’extraordinaire ingéniosité du lettré. Par le but même de sa mission, il s’opposait directement à Li Si, fervent partisan de l’unification des royaumes, et artisan de l’annexion prochaine du Han. Il s’attira d’abord les faveurs du roi, dont la politique s’inspirait de ses travaux, où son influence alla croissant. Mais isolé, il eut, selon le Shiji [7], des querelles avec un ministre du Qin du nom de Yaojia, auquel il reprocha son origine modeste et son passé douteux. Mais Yaojia se défendit, reprenant ses arguments de l’essai De la difficulté de conseiller. Cette réponse audacieuse discrédita Han Fei et Li Si n’hésita pas à saisir cette opportunité d’abattre son adversaire.
Toujours selon le Shiji, le ministre évoqua le sort de son invité avec le roi de Qin. Principal rival de Han Fei dont il enviait l’intelligence, il persuada le souverain qu’il ne pourrait ni renvoyer Han Fei au Han , où sa compétence supérieure constituerait une menace pour le Qin, ni l’employer pour ses projets car sa loyauté ne serait pas acquise au Qin. Finalement, Han Fei fut emprisonné. Il tenta de se défendre, mais Li Si fit en sorte qu’il ne put obtenir d’audience. Ce dernier lui rendit alors visite et le convainquit de mourir dignement, lui procurant du poison. Il se suicida durant l’année 233.
Lorsque le roi de Qin changea d’avis, il était trop tard.
À sa mort, il disposait déjà d’une réputation fermement établie, en raison de ses travaux brillants. Il continua à être considéré parmi les plus grands philosophes de Chine. Près de 55 de ses travaux lui survécurent, et furent collectés dans le “Han Feizi”.
Han Fei Zi est le seul légiste qui, en plus d’une recherche de pratiques pour le maniement du pouvoir à l’usage des souverains, rechercha un fondement philosophique en présentant la notion de loi en terme de Dao, la loi étant un des rouages de l’ordre de l’univers.