Le peu d’informations connues sur Sextus Roscius provient de Cicéron, l’avocat de son fils.
Par sa naissance, son rang, ses moyens financiers il était facilement, non seulement dans sa ville mais même dans toute la contrée, le premier personnage.
Les calendes de juin 81 av. jc avaient été fixées par Sylla, qui venait de s’emparer du pouvoir à Rome au sortir de la guerre civile [1].
Vers le milieu de septembre de la même année, Sextus Roscius, citoyen d’Ameria [2], est retrouvé assassiné, dans le quartier de Subure [3].
Le suspect de ce crime est Sextus Roscius, fils de la victime dont il porte le même nom, un jeune homme dénué d’instruction, vivant dans les champs, étranger aux affaires, inconnu à Rome, qui est accusé.
Si Roscius fils est reconnu coupable de parricide, crime particulièrement grave dans le droit pénal romain, il risque une mort atroce. Le condamné était fouetté puis on l’enfermait dans un sac avec un chien affamé, un singe, un coq et un serpent. Enfin, le sac était jeté dans le Tibre.
Roscius était un homme très riche, dont les terres suscitaient de fortes convoitises. Sa fortune se montait à 6 millions de sesterces. Admis dans l’intimité de plusieurs familles illustres, comme les Caecilii Metelli [4], les Scipions [5] ou les Servilii [6], il s’était constamment montré favorable à la cause des nobles et avait toujours soutenu le parti de Sylla.
En fait, Sextus Roscius fils fut victime d’une machination tramée dans l’ombre par son cousin Capiton, qui travaillait comme contremaître pour son oncle.
Celui-ci fit donc assassiner, par son complice Magnus, son oncle et patron Sextus Roscius senior alors que ce dernier, sortant d’un banquet ivre et insouciant, rentrait chez lui.
Avec d’autres, ledit Magnus, qui habitait non loin du lieu de l’embuscade, découvrit le corps sans vie du riche propriétaire foncier. Il fit aussitôt prévenir son commanditaire Capiton en lui faisant parvenir l’épée du meurtre.
Les deux scélérats se hâtèrent d’en instruire Chrysogonus, affranchi et favori de Sylla. Ils avaient conçu le projet de s’emparer de la fortune de leur parent. Ils proposèrent à cet affranchi, dont le pouvoir était immense, de s’associer à ce projet.
Il fallait obtenir du dictateur que le nom de Roscius fût placé sur les tables de proscription, et que ses biens fussent confisqués et vendus. Chrysogonus l’obtint d’autant plus facilement qu’il était chargé d’établir ces listes. Ainsi les biens du proscrit tombèrent-ils dans l’escarcelle de l’État. Les 13 fermes de Sextus Roscius senior furent mises aux enchères. Un acquéreur qui en proposait six millions de sesterces fut réduit au silence par la menaçante présence d’hommes de main, et les fermes furent adjugées à Chrysogonus pour seulement 2 mille sesterces.
Chrysogonus conserva pour lui 10 de ces fermes, dont il confia la gestion à Magnus, et il fit cadeaux des trois autres à Capiton.
Le procès se déroule en pleine séance ouverte sur le Forum [7], et amène un large public attiré par les relents de scandale qui pèsent sur cette affaire ténébreuse.
L’accusation est portée par le procureur Erucius, choisi par Chrysogonus, pour mener cette bataille, qui a déjà gagné de nombreux procès. Erucius essaie de prouver devant les juges assemblés que Sextus Roscius fils aurait tué son père pour se venger d’avoir été déshérité.
La défense du jeune Sextus Roscius est assurée par un avocat de 27 ans, encore inconnu dont le nom deviendra célèbre en littérature et dans l’histoire : Cicéron.
Erucius produit des témoins qui tentent d’accréditer l’idée que Sextus désirait se venger d’un père qui ne l’aimait pas. Cicéron se place dans une position plus morale puisqu’il n’hésite pas à prouver que cette affaire est en lien avec la politique et le régime de terreur instauré par Sylla et ses proscriptions.
Cicéron, choisi par la puissante famille Caecilii Metelli pose au cours de sa plaidoirie sa fameuse question, lancinante dans ce procès, et qui fera date dans les annales judiciaires Cui bono ? [8].
Cicéron prouve que son client n’a pu avoir la volonté ni les moyens d’exécuter le crime exécrable dont on l’accuse, et ne doutant de rien, le jeune et ambitieux avocat ose nommer le Grec corrompu, l’affranchi Chrysogonus, qui n’est même pas Romain.
L’orateur attaque l’illégalité de la vente des biens de Sextus Roscius père, fondée sur ce que cette vente a eu lieu 4 mois après l’expiration de la loi. Il va même jusqu’à soupçonner qu’elle n’a pas eu lieu. Il exhale son indignation contre le luxe et l’insolence de cet affranchi.
Cette cause fut plaidée en 79 av. jc. La plaidoirie de Cicéron emporte la conviction du jury qui acquitte Sextus fils, faute de preuves. Pour autant, celui-ci ne récupère jamais les biens confisqués. Est-il coupable ou innocent ? Du procès, nous ne connaissons que la version de Cicéron.
Après le procès on n’entend plus parler de Chrysogonus, tombé dans les oubliettes de l’Histoire. Le procureur Erucius échappe à la marque infamante des calomniateurs et poursuit une brillante carrière d’avocat. Quant à Cicéron, il surpassera ses maîtres du barreau et deviendra une gloire de la littérature latine.