C’est un dirigeant révolutionnaire et l’un des grands protagonistes de la Réforme [1], et plus particulièrement de la Réforme radicale.
Né de parents pauvres, Thomas Müntzer aurait perdu son père de bonne heure, et sa mère aurait subi des mauvais traitements sous prétexte d’indigence. Son père est un pauvre artisan d’origine slave, qui aurait fini ses jours pendu à la potence, sacrifié à l’arbitraire d’un comte. C’est donc livré à lui-même que grandit le jeune garçon, qui bénéficiera toutefois d’une bonne éducation.
Après avoir étudié consciencieusement la théologie à l’université de Leipzig [2], il est pourvu d’une charge de prêtre auxiliaire dans la ville de Halle [3]. Müntzer est d’abord un fidèle de Luther auquel il se rallie à Leipzig en 1519 et qui le nomme pasteur à Zwickau [4] en Saxe en 1520. Une fois installé dans sa charge, Müntzer développe des idées personnelles sur la nécessité d’une révolution sociale. Très vite, il veut atteindre la masse des analphabètes.
En 1521, il est donc dissident. À partir de fin 1523, Müntzer s’en prend dans ses écrits à Luther. Il profite de la révolte des Paysans [5] pour répandre ses idées. En effet, l’agitation paysanne étant à son paroxysme en Saxe, il essaie de soulever les classes laborieuses contre les princes régnants et les ecclésiastiques.
Il affirme que la trop forte quantité de travail nuit au salut des paysans car aliénés par l’obligation de cultiver, ils ne peuvent pas se consacrer à la Parole. Il participe à la rédaction des Douze Articles [6] et prêche pour un rétablissement de l’Église apostolique par la violence s’il le faut, pour pouvoir préparer le plus vite possible le règne du Christ.
Finalement, après avoir été chassé de Zwickau à la suite d’une dispute avec le magistrat de la ville, puis de Wittemberg [7], et enfin d’Allstedt [8] où il était arrivé en mars 1523, Thomas Müntzer et son groupe prennent le pouvoir en février 1525 à Mühlhausen [9] en Thuringe [10], où ils instaurent une sorte de théocratie radicale et violemment égalitaire et d’où ils participent, eux aussi, à la guerre des paysans.
Le 11 mai 1525, Thomas Müntzer et son armée sont aux portes de Frankenhausen [11], le 14, ils se mettent en ordre de bataille face aux adversaires et le 15 mai a lieu le choc décisif.
En fait, la bataille tourne au massacre : les deux armées princières composées de mercenaires professionnels lourdement armés, disposant de canons, commandées l’une par les ducs de Brunswick [12] et de Saxe [13], l’autre par Philippe de Hesse dit le Magnanime, perdent 6 mercenaires pour massacrer environ 5 000 paysans.
Peu après, Müntzer est capturé dans une maison de Frankenhausen, où, blessé, il s’était réfugié. Après avoir avoué ses intentions subversives sous la torture, il se rétracte et, le 27 mai, il est décapité à Mühlhausen devant tout ce que la région compte de personnages de la haute noblesse. À l’attention du bon peuple, sa tête empalée est exposée sur les remparts de la ville.
Les réformes liturgiques de Thomas Müntzer, qu’il a entreprises lorsqu’il était pasteur d’Allstedt, entre 1523 et 1524, et qu’il a développées dans deux manifestes [14], sont d’excellents exemples de la refondation d’une pratique cultuelle proprement protestante.
Cette facette de l’œuvre de Müntzer, tout autant que ses compositions musicales, a exercé une influence bien au-delà de la mort du réformateur. Ses messes en allemand, dans lesquelles il a veillé à ne s’écarter qu’à la marge du rite catholique en latin et des heures canoniales, pour cependant en mettre le texte à portée des fidèles germanophones, ont été préservées et réimprimées à de multiples reprises dans plusieurs paroisses de Saxe et de Thuringe pendant plus de 4 siècles sans toutefois que le nom de Müntzer y apparaisse.
Les écrits liturgiques de Müntzer constituent une tentative de transposer directement en allemand le texte des hymnes en latin chantés à Allstedt. Par là, Müntzer est un pionnier de la messe en langue vernaculaire en Allemagne moyenne.
Son impatience de transposer la richesse de la théologie protestante dans une liturgie proche des gens est manifeste et à Allstedt elle obtint d’emblée un énorme succès. Martin Luther et son entourage posaient un regard sceptique sur les réformes liturgiques de Müntzer, non qu’ils en condamnassent le contenu théologique, mais bien plutôt le souci d’adhésion que l’imprudent Müntzer manifestait.
Il faut supposer que la décision de Luther, d’orchestrer en 1526 sa Messe allemande, non sur les airs polyphoniques, mais plutôt sur des airs populaires d’Allemagne, se fonde sur l’intention consciente de se démarquer de Müntzer, après que la répression de 1525 et l’écrasement de la Révolte des paysans de Thuringe eut montré combien la Réforme pouvait servir de prétexte aux autorités pour réprimer les conflits sociaux. Le mépris de Luther pour les réformes liturgiques de Müntzer revient sans cesse en conclusion de ses Propos de table.
L’insistance de Müntzer sur la foi vécue par expérience, sa critique du baptême traditionnel et de l’ordre social existant, tout comme sa façon de prendre modèle sur l’époque apostolique rencontrèrent rapidement un certain succès là où se faisait jour une conception de la foi différente de celle des réformes de Luther et de Zwingli.
C’est surtout par les écrits polémiques de Wittenberg que la participation de Müntzer à la guerre des Paysans fut gardée en mémoire par les générations futures, de sorte qu’il fut considéré longtemps comme l’archétype du fanatisme et de la rébellion.
L’influence de Thomas Müntzer sur l’histoire du culte protestant et sur la piété de l’imitation du Christ, ainsi que son rôle dans la constitution d’une critique de l’autorité établie et d’une doctrine de la résistance confèrent à Thomas Müntzer une importance historique notable même s’il reste globalement ignoré dans les études sur la Réforme, en raison de son profil de religieux exalté et radical