Michel le Syrien dit Michel le Grand (1126-1199)
Patriarche de l’Église syriaque orthodoxe du 18 octobre 1166 à sa mort
Né à Mélitène [1]. À sa naissance, Mélitène appartenait au royaume turc des Danichmendides [2] ; en 1142, quand ce royaume fut divisé en deux, elle devint même la capitale d’une principauté ; en 1178, celle-ci fut incorporée au sultanat de Roum [3]. À proximité de la ville se trouvait le monastère jacobite de Mar Bar Sauma [4], qui servait de résidence patriarcale depuis le 11ème siècle.
Michel appartenait à la vieille famille chrétienne des Qîndasî. Son père Elias était prêtre ; son oncle, le moine Athanase, devint évêque d’Anazarbe [5].
Il fut confié dès son enfance au monastère de Mar Bar Sauma [6], dont il devint archimandrite [7] avant l’âge de 30 ans. Il y fit réaliser d’importants travaux [8]. Le 18 octobre 1166, âgé de 40 ans, il fut élu patriarche de l’Église jacobite [9], puis consacré en présence de 28 évêques.
En 1168, il fit un pèlerinage à Jérusalem, puis séjourna un an à Antioche [10]. Ces deux villes faisaient alors partie des États latins fondés au Proche-Orient par les croisés, et Michel établit d’excellentes relations avec les dignitaires occidentaux, notamment Amaury de Nesle , patriarche latin de Jérusalem [11]. À son retour au monastère de Bar Sauma, à l’été 1169, il y tint un synode pour tenter de réformer l’Église, minée par la simonie [12].
L’empereur byzantin Manuel 1er Comnène tenta d’entrer en négociation avec lui pour la réunification des Églises. Mais Michel se méfiait beaucoup des Grecs : il refusa de se rendre à Constantinople [13] à l’invitation de l’empereur ; il refusa même, à deux reprises, en 1170 et en 1172, de rencontrer personnellement son légat Théorianus, se faisant représenter par l’évêque Jean de Kaishoum, puis par son disciple Théodore Bar Wahboun. À trois lettres successives envoyées par l’empereur, il répondit simplement en réaffirmant les convictions monophysites [14] de l’Église jacobite.
Vers 1174, Michel dut faire face à la fronde d’une partie des évêques de l’Église. Il fut d’autre part arrêté à deux reprises, par les hommes du préfet de Mardin [15] et par ceux de l’émir de Mossoul [16], à l’instigation, déclare-t-il, d’évêques mutinés contre lui, mais il parvint à se tirer d’affaire. Les moines du couvent de Bar Sauma se rebellèrent en 1171 et en 1176.
Entre 1178 et 1180, il séjourna à nouveau dans les États latins, à Antioche et à Jérusalem. Invité par le papeAlexandre III à se rendre au troisième concile du Latran [17], il déclina l’invitation, mais participa quand même au concile par écrit, en rédigeant un long volume sur la doctrine des Albigeois [18], d’après la description qu’on lui en avait faite.
En 1180, son ancien disciple Théodore Bar Wahboun parvint à se faire élire patriarche à Amida [19] et commença un schisme qui dura 13 ans. L’usurpateur s’assura des partisans, notamment à Damas, Jérusalem, Mossoul et Mardin ; il séjourna à Hromgla [20] auprès du catholicos [21] arménien Grégoire IV , qui lui permit d’obtenir la reconnaissance officielle du prince Léon II de Petite-Arménie . Le schisme ne prit fin qu’à la mort de Théodore pendant l’été 1193.
Michel reçut le sultan Kiliç Arslan II à Mélitène en 1182 et eut avec lui des discussions cordiales. Il mourut le 7 novembre 1199 dans le monastère de Bar Sauma à l’âge de 73 ans, après 33 ans de patriarcat.
Michel est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages de littérature religieuse : sur la liturgie et les rituels, sur la doctrine de l’Église jacobite [22], sur son droit canonique, etc.. Il a laissé aussi de nombreuses homélies. Mais ce qu’on retient surtout de lui est “sa Chronique universelle”, la plus ample compilation historiographique de toute la littérature en langue syriaque. L’œuvre consiste en une histoire chronologique du monde depuis la Création jusqu’à l’époque de l’auteur. Elle est divisée en 21 livres subdivisés en chapitres portant ou non un titre. La présentation est faite sur une, deux ou trois colonnes : dans ce dernier cas, la première est consacrée à la succession des patriarches et des évêques, la seconde à la succession des empires, et la troisième aux événements.
Notes
[1] Malatya est une ville de Turquie, préfecture de la province du même nom. La population de Malatya est principalement kurde et turque, mais la ville accueille aussi une minorité arménienne. Il s’agit de l’ancien emplacement de Mélitène, fort et chef lieu de la province romaine de l’Arménie.
[2] Les Danichmendides ou Danishmendites forment une dynastie turque convertie à l’islam, qui a régné aux 11ème et 12ème siècles, sur une partie de l’Anatolie, au moment des premières invasions turques par les Grands Seldjoukides après la défaite des Byzantins à la Bataille de Manzikert contre le Seldjoukide Kılıç Arslan. Cette dynastie laisse ensuite la place aux Seldjoukides de Roum.
[3] Le sultanat de Roum (c’est-à-dire du « pays des Romains » ou sultanat d’Iconium est un sultanat seldjoukide établi de 1077 à 1307 en Anatolie à la suite de la bataille de Manzikert.
[4] Le monastère Mor Bar Sauma, situé dans les environs de Mélitène (actuelle Malatya), a été le siège de l’Église syriaque orthodoxe de 1034 à 1293. Son emplacement a été retrouvé à Borsun Kalessi, dans le Nemrut Dağı. Il fut pillé en 1148 par Josselin II d’Édesse, puis fut intégralement détruit par un incendie en 1163 et reconstruit par Michel le Syrien en 1180. Le mur d’enceinte fut achevé en 1207 par le patriarche Ignace II, et un toit de plomb fut posé sur l’église. À la mort du patriarche Ignace II David, un schisme naquit entre son successeur Jean XII bar Madani et un « anti-patriarche » siégeant à Mélitène, Dyonisius Aaron Angur, qui régna en même temps que lui jusqu’à son assassinat au monastère en 1261.
[5] Anazarbe est une ancienne ville et forteresse de Cilicie, sur le fleuve Pyrame, aujourd’hui en Turquie. Nommée aussi Caesarea ad Anazarbus, puis en turc Çeçenanavarza et actuellement Aǧaçli. Comptoir économique important gagné par Pompée sur Tigrane II le Grand en même temps que l’ensemble de la Cilicie et de la Syrie du Nord, elle fut florissante sous les empereurs, et devint au 5ème siècle capitale de la Cilicie. Prise en 638 par les Arabes, elle fut reprise par Nicéphore II Phocas en 962. Mais la victoire des Seldjoukides sur les Byzantins à bataille de Manzikert en 1071 permit l’installation d’Arméniens dans la région, quand l’Arménien Thoros 1er prit Anazarbe. Récupérée par les Byzantins après un siège de 37 jours en 1137, la cité fut reprise par Thoros II, puis de nouveau par les Byzantins en 1156. La défaite des Byzantins devant les Turcs à Myriokephalon en 1176 mit un terme aux ambitions byzantines dans la région et permit l’instauration du royaume arménien de Cilicieen 1136, dont Anazarbe fut la capitale au 12ème siècle
[6] Le monastère de Mar Saba ou laure de Saint-Sabas appelée aussi Grande Laure est un monastère orthodoxe hiérosolymitain situé à quelques kilomètres de la ville de Bethléem dans le désert de Judée, en Cisjordanie. C’est un des plus anciens monastères chrétiens.
[7] Un archimandrite est, dans les Églises de rite byzantin, un titre honorifique accordé aux higoumènes (supérieurs de monastère) ou aux recteurs (curés) de paroisses importantes.
[8] adduction d’eau, tour de défense
[9] Dans l’Église chrétienne, un patriarcat est une région soumise à l’autorité d’un patriarche. En 325, le premier concile œcuménique qui siège à Nicée accorde un privilège d’honneur aux évêques de Rome, d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem. Le 2e concile œcuménique (Constantinople - 381) étendra ce privilège à l’évêque de Constantinople, la Deuxième Rome.
[10] Antioche, ou Antioche-sur-l’Oronte afin de la distinguer des autres Antioche plus récentes, est une ville historique originellement fondée sur la rive gauche de l’Oronte et qu’occupe la ville moderne d’Antakya, en Turquie. C’était l’une des villes d’arrivée de la route de la soie.
[11] Le Patriarche latin de Jérusalem est l’un des patriarches catholiques orientaux. C’est le titre le plus ancien parmi tous les patriarches catholiques orientaux puisqu’il date de 1099 et le seul de rite latin. En effet, après la prise de Jérusalem par les croisés en 1099, une structure religieuse, le patriarcat latin, est créée à Jérusalem en complément d’une structure temporelle, qui sera le royaume de Jérusalem.
[12] La simonie est, pour les catholiques, l’achat et la vente de biens spirituels, tout particulièrement d’un sacrement et, par conséquent, d’une charge ecclésiastique.
[13] Constantinople est l’appellation ancienne et historique de l’actuelle ville d’Istanbul en Turquie (du 11 mai 330 au 28 mars 1930). Son nom originel, Byzance, n’était plus en usage à l’époque de l’Empire, mais a été repris depuis le 16ème siècle par les historiens modernes.
[14] Le monophysisme est une doctrine christologique apparue au 5ème siècle dans l’Empire byzantin en réaction au nestorianisme, et ardemment défendue par Eutychès et Dioscore d’Alexandrie.
[15] Mardin est une ville de Turquie, préfecture de la province du même nom. Les ruelles de sa citadelle (10ème siècle), jalonnée d’interminables escaliers, s’élèvent devant les plaines de Mésopotamie. Il y a de nombreuses mosquées, dont l’Ulu Camii au minaret sculpté (ancienne église Saint-Thomas) et la Latifiye Camii aux portes monumentales décorées. Ainsi qu’une dizaine d’églises comme Mar Behnam Kilesi.
[16] Mossoul est une ville du nord de l’Irak, chef-lieu de la province de Ninive, en Haute mésopotamie. Appartenant de jure à l’Irak, Mossoul est située sur les ruines de Ninive. C’est la ville qui lui a succédé comme métropole régionale à l’époque chrétienne. Elle est alors d’obédience nestorienne et abrite les tombes de plusieurs évangélisateurs. Prise en 641 par les Arabes, elle devient le principal pôle commercial de la région en raison de son emplacement, au carrefour des routes de caravanes entre la Syrie et la Perse. C’est à cette époque qu’elle devient réputée pour ses tissus fins de coton, les mousselines, ainsi que pour son marbre. Au 10ème siècle, l’émirat de Mossoul acquiert une quasi-indépendance avant de devenir au 11ème siècle la capitale d’un État seldjoukide. Au 13ème siècle, elle est conquise et pillée par les Mongols. En 1262, elle passe sous domination perse, puis ottomane.
[17] Le troisième concile du Latran est le 11ème concile œcuménique de l’Église catholique. Il se tient à Rome en mars 1179, à la suite de la paix de Venise conclue entre l’empereur Frédéric Barberousse et la Ligue lombarde fomentée par le pape Alexandre III. Il met fin au schisme survenu au moment de l’élection d’Alexandre III en 1159. Le concile réunit environ 200 pères conciliaires. Il se tient en trois sessions : les 5, 7 (ou 14) et 19 (ou 22) mars 1179. Il donne lieu à 27 décrets, portant sur des sujets très variés.
[18] Cathares de la région d’Albi d’où leur nom, les Albigeois prônent une vie austère détachée des biens matériels, ce qui, au début du 13ème siècle, tranche avec l’opulence du clergé catholique. En 1208, le pape Innocent III prend prétexte de l’assassinat du légat Pierre de Castelnau par un officier de Raymond VI, comte de Toulouse, pour prêcher la croisade contre les Albigeois. Simon de Montfort en prend la tête. Les massacres se multiplient, sac de Bézier en 1209, tuerie de Pujols en 1213, bataille de Muret en 1213… Après la mort de Raymond VI à Muret et celle de Simon de Montfort en 1218, leurs fils reprennent le flambeau. Il faudra l’intervention du roi Louis VIII et le traité de Paris en 1226 pour pacifier le Languedoc. Les terres conquises par Simon de Montfort sont rattachées à la Couronne, tandis que l’hérésie est neutralisée par la prise de Montségur en 1244.
[19] Diyarbakır est une ville du sud-est de la Turquie. Elle était également appelée Amida sous l’Empire romain. Les Kurdes constituant la majeure partie de la population de la ville la considèrent comme la capitale du Kurdistan turc, dans le sud-est anatolien. Appelée Amida dans l’Antiquité, ce qui lui vaut son nom de Kara Amid, la « Noire Amida », elle fut la capitale du royaume araméen de Bet-Zamani à partir du 13ème siècle av. jc, puis d’un royaume arménien appelé Cordyène ou Cardyène. La région devint par la suite une province de l’Empire romain ; Amida était au 4ème siècle la principale place forte de Mésopotamie, dans la haute vallée du Tigre. Amida fut un centre religieux lié au patriarcat syriaque-orthodoxe d’Antioche. De cette époque, jusqu’au génocide arménien de 1915, la région est fortement peuplée d’Arméniens. La région comportait également une minorité chaldéenne. La ville d’Amida fut le siège du patriarcat chaldéen de 1681 à 1828.
[20] Qal’at ar-Rum, Claia ou Glaia dans les sources ecclésiastiques latines, signifiant littéralement « château romain », c’est-à-dire byzantin, ou Ranculat pour les croisés est une puissante forteresse sur le fleuve Euphrate, à 50 km au nord-est de Gaziantep, en Turquie. Elle est située au confluent de l’Euphrate et du Merzumen. Sa position stratégique est déjà connue des Assyriens, bien que la structure actuelle soit essentiellement de factures hellénistique et romaine. Le site est occupé par des chefs de guerre byzantins et arméniens au cours du Moyen Âge. Conquise par les Croisés de la première croisade et intégrée au comté d’Édesse, la citadelle est cédée par l’épouse de Josselin II en 11511 au catholicos arménien, chef suprême de l’Église apostolique arménienne, qui en fait sa résidence ; son scriptorium est célèbre pour ses productions, avec notamment un enlumineur comme Toros Roslin. Intégrée au royaume arménien de Cilicie vers 1258, elle est prise par les Mamelouks d’Égypte en 1292 après un long siège.
[21] Le titre de catholicos est un titre équivalent à celui de patriarche porté par des dignitaires de plusieurs Églises orthodoxes orientales, notamment les Églises de la tradition nestorienne et les Églises monophysites, en particulier l’Église apostolique arménienne.
[22] L’Église syriaque orthodoxe est une Église orientale autocéphale. Elle fait partie de l’ensemble des Églises des trois conciles dites aussi « Églises antéchalcédoniennes ». Elle tire son surnom de « jacobite » du nom d’un de ses fondateurs, Jacques Baradée. Du fait des querelles « christologiques » et des schismes qui s’ensuivirent, le titre de patriarche d’Antioche se trouve porté également par quatre autres chefs d’Église.