Victor de Tunnuna ou Victor de Tonnena (mort vers 570)
Évêque de la province d’Afrique
Il est l’auteur d’une précieuse Chronique en langue latine, qui fournit le peu d’éléments que l’on connaît de sa vie. La notice que lui consacre Isidore de Séville dans son De Viris Illustribus paraît entièrement tirée de la Chronique.
Victor fit partie des opposants farouches à la condamnation des Trois Chapitres [1] décrétée par l’empereur Justinien en 544. En 555, il fut emprisonné dans le fort de Dioclétien [2] à Alexandrie [3], puis transféré en 556 dans le monastère des Tabennésiotes à Canope [4] ; un peu plus tard il fut exilé dans les îles Baléares [5], puis enfermé dans le monastère de Mandracium près de Carthage [6].
En 564, lui et 5 autres évêques récalcitrants de la province d’Afrique [7] furent convoqués à Constantinople [8] devant l’empereur Justinien et le patriarche Eutychius, et ils furent sommés d’adhérer à la condamnation des Trois Chapitres, qui entre-temps avait été avalisée par le deuxième concile de Constantinople [9] et par les papes Vigile et Pélage 1er.
Comme ils refusaient obstinément d’obtempérer, ils furent confinés dans différents monastères de la capitale, où Victor mourut quelques années plus tard.
Son œuvre historiographique était une Chronique universelle racontant l’histoire du monde depuis la Création jusqu’en l’an 566. Il nous en reste seulement la partie qui couvre la période allant de 444 à 566, qui servit de continuation à une version de l’Epitoma chronicon de Prosper Tiro.
La Chronique de Victor de Tunnuna est d’une très grande valeur pour les historiens car elle accorde une place centrale aux questions religieuses : la querelle monophysite [10], la controverse des Trois Chapitres, la présence de l’arianisme [11] dans les royaumes barbares d’Occident. Elle donne des détails sur l’occupation de la province d’Afrique par les Vandales [12].
Notes
[1] L’affaire dite des Trois Chapitres s’inscrit dans les efforts de Justinien 1er pour réconcilier sur le plan religieux les parties orientale et occidentale de son empire en les persuadant que les décisions du concile de Chalcédoine de 451 étaient conformes à la christologie de l’école d’Alexandrie. En 544, il publia un édit en trois chapitres, le premier condamnant Théodore de Mopsueste, les deux autres condamnant les écrits jugés pro-nestoriens de Théodoret de Cirrhe et la lettre adressée par l’évêque d’Édesse, Ibas, à Mari.
[2] Castellum Diocletianum
[3] Alexandrie est une ville en Égypte. Elle fut fondée par Alexandre le Grand en -331 av. jc. Dans l’Antiquité, elle a été la capitale du pays, un grand centre de commerce (port d’Égypte) et un des plus grands foyers culturels hellénistiques de la mer Méditerranée centré sur la fameuse bibliothèque, qui fonda sa notoriété. La ville d’Alexandrie est située à l’ouest du delta du Nil, entre le lac Maréotis et l’île de Pharos. Cette dernière était rattachée à la création de la ville par l’Heptastade, sorte de digue servant aussi d’aqueduc, qui a permis non seulement l’extension de la ville mais aussi la création de deux ports maritimes.
[4] Canope est une ancienne cité de l’Égypte antique, située près de l’actuelle Aboukir. Elle abritait le temple de Sérapis, le dieu guérisseur et des morts, équivalent ptolémaïque d’Osiris. Son ancien nom égyptien était Pikuat. Selon l’historien romain Tacite, la ville aurait été fondée par des Spartiates de retour de Troie. Leur navire aurait été déporté et le pilote du navire, Canopos, aurait été enterré là.
[5] Les îles Baléares sont l’une des communautés autonomes d’Espagne. Il s’agit d’un archipel situé en mer des Baléares qui comprend cinq îles principales, dont quatre habitées, ainsi que de nombreux îlots
[6] Carthage est une ville tunisienne située au nord-est de la capitale Tunis. L’ancienne cité punique, détruite puis reconstruite par les Romains qui en font la capitale de la province d’Afrique proconsulaire, est aujourd’hui l’une des municipalités les plus huppées du Grand Tunis, résidence officielle du président de la République, regroupant de nombreuses résidences d’ambassadeurs ou de richissimes fortunes tunisiennes et expatriées. La ville possède encore de nombreux sites archéologiques, romains pour la plupart avec quelques éléments puniques,
[7] L’Afrique ou Afrique proconsulaire, est une ancienne province romaine qui correspond à l’actuelle Nord et sud Est Tunisien, plus une partie de l’Algérie et de la Libye actuelle. La province d’Afrique est créée en 146 av. jc, après la destruction de Carthage, au terme de la 3ème guerre punique ; ayant Utique pour capitale, elle est séparée du royaume de Numidie par une ligne de démarcation, la fossa regia. En 46 av. jc, Rome annexe la Numidie avec le nom de « nouvelle province d’Afrique » (Africa Nova) pour la distinguer de la première (Africa Vetus). Vers 40-39 av. jc, les deux provinces sont réunies dans la province dite d’Afrique proconsulaire ; ayant Carthage pour capitale, elle s’étend, d’ouest en est, de l’embouchure de l’Ampsaga (auj. l’Oued-el-Kebir, en Algérie) au promontoire de l’Autel des frères Philènes (auj. Ras el-Ali, en Libye). En 303, celle-ci est divisée par Dioclétien en trois provinces : la Tripolitaine, la Byzacène et l’Afrique proconsulaire résiduelle, aussi appelée Zeugitane.
[8] Constantinople est l’appellation ancienne et historique de l’actuelle ville d’Istanbul en Turquie (du 11 mai 330 au 28 mars 1930). Son nom originel, Byzance, n’était plus en usage à l’époque de l’Empire, mais a été repris depuis le 16ème siècle par les historiens modernes.
[9] Le deuxième concile de Constantinople s’est tenu du 5 mai au 2 juin 553. Ce fut le cinquième des sept conciles œcuméniques reconnus à la fois par l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe. Convoqué par l’empereur Justinien, il fut présidé par le patriarche Eutychius de Constantinople et réunit 152 évêques venant principalement d’Orient. Seuls 16 évêques d’Occident étaient présents, dont 9 d’Illyrie et 7 d’Afrique, mais aucun d’Italie. Par ce concile, Justinien voulait faire confirmer par l’Église sa condamnation édictée en 553 contre les écrits de 3 évêques se rattachant à l’école théologique d’Antioche : Théodore de Mopsueste, Théodoret de Cyr et Ibas d’Édesse.
[10] Le monophysisme est une doctrine christologique apparue au 5ème siècle dans l’Empire byzantin en réaction au nestorianisme, et ardemment défendue par Eutychès et Dioscore d’Alexandrie.
[11] L’arianisme est un courant de pensée théologique des débuts du christianisme, due à Arius, théologien alexandrin au début du 4ème siècle. La pensée de l’arianisme affirme que si Dieu est divin, son Fils, lui, est d’abord humain, mais un humain disposant d’une part de divinité. Le premier concile de Nicée, convoqué par Constantin en 325, rejeta l’arianisme. Il fut dès lors qualifié d’hérésie par les chrétiens trinitaires, mais les controverses sur la double nature, divine et humaine, du Christ (Dieu fait homme), se prolongèrent pendant plus d’un demi-siècle. Les empereurs succédant à Constantin revinrent à l’arianisme et c’est à cette foi que se convertirent la plupart des peuples germaniques qui rejoignirent l’empire en tant que peuples fédérés. Les wisigoths d’Hispanie restèrent ariens jusqu’à la fin du 6ème siècle et les Lombards jusqu’à la moitié du 7ème siècle.
[12] Les Vandales sont un peuple germanique oriental. Ils conquirent successivement la Gaule, la Galice et la Bétique (sud de l’Espagne), l’Afrique du Nord et les îles de la Méditerranée occidentale lors des Grandes invasions, au 5ème siècle. Ils fondèrent également le « royaume vandale d’Afrique » (439–534) dont la capitale fut Carthage.