Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise d’assaut par des Parisiens. La Révolution française prend dès lors un tour irréversible.
40 jours plus tôt, les états généraux s’étaient réunis à Versailles et les députés avaient constaté que les maux du gouvernement appelaient davantage qu’une simple réforme de l’impôt. Ils avaient décidé de remettre à plat les institutions et de définir par écrit, dans une constitution, de nouvelles règles de fonctionnement, selon l’exemple américain.
C’est ainsi que le 9 juillet, l’assemblée réunie à Versailles se proclame Assemblée nationale constituante. L’initiative ne plaît pas au roi et surtout à son entourage. Sous la pression de la Cour, le 12 juillet, Louis XVI renvoie son contrôleur général des finances, Jacques Necker, un banquier d’origine genevoise qui n’a fait que creuser le déficit mais est restée pour cela très populaire parmi les petites gens.
À Paris, le petit peuple des artisans et des commerçants s’irrite et s’inquiète. On dit que le roi, irrité par la désobéissance des députés, voudrait les renvoyer chez eux. Dans les jardins du Palais-Royal, la résidence du cousin du roi, le duc d’Orléans, haut lieu de la prostitution et du jeu, un orateur, Camille Desmoulins, monté sur un escabeau, harangue la foule.
Le prince de Lambesc dirige les manœuvres d’un détachement de gardes suisses et d’un escadron de dragons du Royal Allemand qui chargent la foule sur la place Louis XV* (aujourd‘hui place de la Concorde). L’émeute s’aggrave et la foule force les portes de plusieurs armuriers du faubourg. Le sire de Flesselles, prévôt des marchands, tente de calmer les esprits. Il ne tarde pas à faire les frais de sa modération et être massacré.
Le 13 juillet, la rumeur se répand que les troupes royales allaient entrer en force dans la capitale pour mettre les députés aux arrêts. De fait, des corps de troupes étaient rassemblés au Champ de Mars et aux portes de Paris. Au matin du 14 juillet, un attroupement d’artisans et de commerçants se rend à l’Hôtel des Invalides, en quête d’armes.
Le gouverneur de Sombreuil cède aux émeutiers et ouvre les portes de l’Hôtel dont il avait la garde. La foule fait irruption dans l’arsenal et emporte 28.000 fusils et 20 bouches à feu. Forts de ce premier succès, les émeutiers rugissent A la Bastille ! La rumeur prétend que de la poudre y aurait été entreposée. Au demeurant, le peuple a une revanche à prendre sur la vieille forteresse médiévale dont la masse lugubre semble le narguer et lui rappelle à tout moment l’arbitraire royal. La garnison de la Bastille se compose de 82 vétérans, dits invalides, auxquels se sont adjoints le 7 juillet un détachement de 32 gardes suisses du régiment de Salis-Samade commandés par le lieutenant de Flüe.
Le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, se persuade qu’il doit gagner du temps pour permettre à une troupe de secours de le délivrer des émeutiers. Il déclare à ses assaillants être prêt à parlementer avec 3 délégués et livre 3 bas officiers en otage. Les parlementaires sont conduits par le dénommé Thuriot. Le marquis insiste pour retenir ses hôtes à dîner pendant que la foule gronde dehors.
C’est alors qu’un groupe de forcenés parvient à franchir l’Avancée par le toit du corps de garde, pour se jeter sur les chaînes du pont-levis à coups de hache. Une charge de mitraille disperse la foule. Mais une nouvelle députation se forme pour exiger la remise de la forteresse entre les mains de la milice. La garde suisse armée de fusils de rempart appelés « amusettes du comte de Saxe » fait des ravages chez les assaillants. 2 détachements de gardes françaises guidés par les dénommés Élie et Hulin arrivent au secours des Parisiens. Ils traînent avec eux deux canons. Ces derniers sont pointés par les assiégeants et causent quelques pertes et aussi un début d’incendie à l’entrée de la forteresse.
M. de Monsigny, commandant des canonniers de la forteresse, est abattu, ce qui a pour résultat de faire disparaître toute velléité de résistance chez les invalides qui entreprennent dès lors d’exiger la reddition de leur gouverneur.
Il est 4 heures du soir. Launay se ressaisit, ordonne soudain le feu à outrance, puis tente de faire sauter les magasins de poudre dans un mouvement de désespoir. Mais ses invalides lui imposent de brandir un mouchoir pour parlementer. Le feu cesse, le lieutenant de Flüe exige les honneurs de la guerre pour se rendre. On les lui refuse, mais le dénommé Élie, du régiment de la Reine, accepte par écrit les termes d’une capitulation qui assure la vie sauve aux défenseurs. Les ponts-levis sont abaissés et les gardes emmenés prisonniers à l’Hôtel de Ville. On doit retenir d’abord le gouverneur d’attenter à sa propre vie, puis la foule se déchaîne et lynche les malheureuses gardes et l’infortuné marquis lui-même en place de Grève. Les têtes sont fichées sur des piques et promenées en triomphe à travers le faubourg. A la Bastille, on libère les détenus au prix d’une légère déception car il ne s’agit que de sept personnages de minable envergure.
Au cours des semaines suivantes, le peuple se rue sur le monument déchu, les pierres sont réduites en morceaux et distribuées comme autant de trophées. Un symbole séculaire de l’absolutisme est ruiné, 2 gouverneurs dépassés par leurs responsabilités ayant fait tourner d’un cran la grande meule de l’Histoire.
Le propre frère du roi, le comte d’Artois, futur Charles X, prend la mesure de l’événement. Il quitte la France sitôt qu’il en a connaissance. Il est suivi dans cette première vague d’émigration par quelques autres hauts personnages, dont le prince de Condé et Mme de Polignac.
A Königsberg, en Prusse orientale* (aujourd‘hui ville de garnison russe du nom de Kaliningrad), le célèbre philosophe Emmanuel Kant, apprenant la prise de la Bastille, commit l‘audace d‘interrompre sa promenade quotidienne, chose extraordinaire qui, dit-on, ne lui arriva à aucune autre occasion. A Versailles, le roi note quant à lui dans son journal à la date du 14 juillet : « Rien »... Mais il ne s‘agit que du résultat de sa chasse habituelle. Néanmoins surpris par la violence de la révolte parisienne, Louis XVI se retient de dissoudre l’Assemblée. La Révolution peut désormais poursuivre son cours.
À Paris, le comité des électeurs désigne un maire, Bailly, et un commandant de la garde nationale, La Fayette, en remplacement de l’administration royale. Les autres villes imitent la capitale. Un comité permanent est formé par les députés de Paris pour faire face à la menace d’anarchie ; il se substitue à la vieille municipalité royale.
3 jours après la chute de la Bastille, Louis XVI se rend à Paris et il est accueilli à l’Hôtel de Ville par une foule arborant sur la tête une cocarde aux couleurs de Paris, le bleu et le rouge. Le populaire général de La Fayette remet au roi une cocarde semblable où il insère le blanc, en signe d’alliance entre le roi et sa ville. De là l’origine du drapeau tricolore.
Une « Grande peur » s’étend dans les campagnes. Les paysans craignent que les seigneurs n’augmentent les taxes qui pèsent sur eux. Sans manquer d’afficher leur loyauté à la monarchie, ils pillent les châteaux et brûlent les terriers*, (documents qui contiennent les droits seigneuriaux). Quelques familles de hobereaux* (petits seigneurs) sont battues, voire massacrées. C’est au tour des députés d’avoir peur. Dans la nuit du 4 août, pour calmer les paysans, ils votent dans l’enthousiasme l’abolition des droits seigneuriaux.
L’année suivante, les Parisiens choisiront de commémorer le premier anniversaire de la prise de la Bastille par une grande fête consensuelle sur le Champ de Mars. Y participeront dans l’enthousiasme 260.000 Parisiens ainsi que des délégués de tous les départements. Le roi et la reine y assisteront aux côtés de La Fayette. Cette « Fête de la Fédération » consacrera le triomphe éphémère de la Révolution pacifique et la promesse d’une monarchie constitutionnelle, respectueuse des droits individuels.