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L’affaire Jean Calas

jeudi 19 septembre 2024, par lucien jallamion (Date de rédaction antérieure : 17 juillet 2013).

L’affaire Jean Calas

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La famille Calas lors de la révision du procès. Gravure de Jean-Baptiste Delafosse d’après Carmontelle (1765).

Le 9 mars 1762, Jean Calas est condamné à mort par le Parlement de Toulouse [1]. Il est roué vif, étranglé et brûlé sur la place Saint-Georges dès le lendemain. Il a 64 ans.

Cinq mois plus tôt, le 13 octobre 1761, ce riche négociant en tissus de religion calviniste [2] a découvert son fils Marc Antoine, 29 ans, pendu à son domicile, rue des Filatiers, à Toulouse. Il tente maladroitement de dissimuler son suicide afin de préserver l’honneur familial.

Mais l’appartenance des Calas à la “Religion Prétendue Réformée” excite contre eux la rumeur publique. On accuse la famille d’avoir assassiné Marc Antoine parce qu’il voulait se convertir au catholicisme !

Le Capitoul [3] David de Beaudrigue fait incarcérer les parents du jeune homme, Jean Calas et Anne Rose Cabibel, son frère Pierre, leur servante Jeanne Viguière, et un ami, Gaubert Lavaysse, qui était arrivé la veille de Bordeaux. Le procès s’ouvre devant les 8 Capitouls qui gouvernent la ville. Il est nourri par des ouï-dire et des faux témoignages.

L’écrivain Laurent Angliviel de La Beaumelle est le premier à prendre la défense des accusés. Sa Lettre pastorale du 1er décembre 1761 est reprise par Paul Rabaut qui publie quelques semaines plus tard “La Calomnie confondue, ou Mémoire dans lequel on réfute une nouvelle accusation intentée aux protestants de la Province du Languedoc, à l’occasion de l’affaire du Sieur Calas détenu dans les prisons de Toulouse”.

Jean Calas n’en est pas moins condamné à mort cependant que les autres co-accusés sont acquittés ou bannis. Le malheureux est exécuté après que le bourreau a lacéré et brûlé La Calomnie confondue.

La Beaumelle est banni de Toulouse pour “mauvaise conduite”. Cela ne l’empêche pas de rédiger au cours de cette année 1762 plusieurs mémoires pour solliciter la cassation du jugement du Parlement et obtenir la libération des filles de la veuve Calas, enfermées depuis le mois de mai par lettres de cachet [4] dans des couvents toulousains.

Dans sa retraite de Ferney, près de Genève [5], Voltaire est informé par un marchand marseillais, Dominique Audibert , de la condamnation de Jean Calas. Le philosophe, alors âgé de 67 ans, écrit dans une lettre au conseiller Le Bault, datée du 22 mars 1762 : “Vous avez entendu parler peut-être d’un bon huguenot que le parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils ; cependant ce saint réformé croyait avoir fait une bonne action, attendu que son fils voulait se faire catholique et que c’était prévenir une apostasie. Il avait immolé son fils à Dieu et pensait être fort supérieur à Abraham car Abraham n’avait fait qu’obéir mais notre calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement et pour l’acquit de sa conscience. Nous ne valons pas grand chose, mais les huguenots sont pires que nous et de plus ils déclament contre la comédie.”

Toutefois, ce persiflage ne dure pas car, dès la fin de ce même mois de mars, Voltaire rencontre à sa demande Donat Calas, un des jeunes fils du supplicié, réfugié en Suisse, et acquiert la conviction de l’erreur judiciaire.

L’écrivain à succès organise habilement un groupe de pression avec ses amis, y compris des souverains étrangers tels que Frédéric II de Prusse ou Catherine II de Russie .

Dénonçant les travers de l’organisation judiciaire, il publie les “Pièces originales concernant la mort des Sieurs Calas et le jugement rendu à Toulouse” en août 1762 puis son célèbre “Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas” en décembre 1763, sans pour autant se rapprocher de La Beaumelle, son ennemi littéraire de toujours.

Le 4 juin 1764, le Conseil du Roi casse enfin les jugements prononcés contre les Calas. David de Beaudrigue est destitué et le 9 mars 1765, le Parlement de Paris réhabilite Jean Calas tandis que le roi Louis XV lui-même indemnise sa famille.

L’affaire Calas illustre les contradictions d’une époque déchirée entre les préjugés, la soif de justice et la découverte de la tolérance. Elle marque aussi la première intervention des philosophes dans les joutes judiciaires et politiques.

Le 20 Décembre 1765 a lieu la mort du dauphin Louis de France . Le Dauphin, âgé de 36 ans, venait de remettre quelques jours plus tôt au roi Louis XV son père un mémoire où il l’invitait à se défier de la prétention au pouvoir des parlements.

Le 3 mars 1766 Louis XV impose un lit de justice au Parlement. Durant cette période à lieu le début du tour du monde de Bougainville qui durera jusqu’en 1769.

Le 16 septembre 1768 René-Nicolas de Maupeou devient chancelier.

Le 16 mars 1769 de retour de son tour du monde, le navigateur Louis Antoine de Bougainville jette l’ancre à Saint-Malo [6].

P.-S.

Source : Monique Hermite Historia mensuel - 01/01/2006 - N° 709, Hérodote, Dictionnaire le Petit mourre, encyclopédie Imago Mundi, Wikipédia, Louis XV de François Bluche....

Notes

[1] Le parlement de Toulouse fut mis en place à Toulouse en 1443 par Charles VII. Ce parlement est une cour de justice repris sur le modèle de celui de Paris, créé par Saint Louis pour juger en appel au nom du roi. Le parlement de Toulouse doit beaucoup à l’action menée par les états de Languedoc, qui depuis longtemps le réclamaient, au nom de l’éloignement du parlement de Paris et de la spécificité du droit méridional. Le parlement de Toulouse sera donc le premier du genre créé en province. Il étend au début son ressort du Rhône à l’Atlantique, des Pyrénées au Massif central, mais la création du Parlement de Bordeaux, en 1462, lui enlève la Guyenne, une partie de la Gascogne, les Landes, l’Agenais, le Béarn et le Périgord. Le 4 juin 1444, le nouveau parlement de Toulouse s’installe dans une salle du château narbonnais, mais sa rentrée solennelle n’a lieu que le 11 novembre suivant. Il traite des affaires civiles, criminelles et ecclésiastiques. Par lettre patente datée le 19 juillet 1474, le roi Louis XI ordonna que le Quercy ressorte désormais au parlement de Toulouse, à la suite de la fin de l’apanage de la Guyenne, à savoir la mort de Charles de France en 1472. Par ailleurs, cette lettre indique que le parlement devait se réfugier à Revel à cause de la peste : « Actum Revelli, in Parlamento, tertia die Septembris, anno Domini millesimo quadrigentesimo septuagesimo-quarto. ». En 1590, Henri IV crée un parlement rival de celui de Toulouse à Carcassonne, où se rendent les parlementaires qui lui sont fidèles.

[2] Le calvinisme (ainsi nommé d’après Jean Calvin), aussi appelé tradition réformée, foi réformée ou théologie réformée, est une doctrine théologique et une approche de la vie chrétienne reposant sur le principe de la souveraineté de Dieu en toutes choses. Bien que développée par plusieurs théologiens tels que Martin Bucer, Wolfgang Musculus, Heinrich Bullinger, Pierre Martyr Vermigli, Ulrich Zwingli et Théodore de Bèze, elle porte le nom du réformateur français Jean Calvin en raison de son influence dominante, ainsi que de son rôle déterminant dans les débats confessionnels et ecclésiastiques du 16ème siècle. Aujourd’hui ce terme fait référence aux doctrines et pratiques de la plupart des Églises réformées, presbytériennes et congrégationalistes. Plus rarement, il désigne l’enseignement de Calvin lui-même.

[3] Les capitouls étaient, depuis le Moyen Âge, les habitants élus par les différents quartiers de Toulouse pour constituer le conseil municipal de la ville. Pour devenir Capitoul, il faut être un homme âgé de plus de 25 ans, marié, catholique, posséder une maison à Toulouse et exercer une profession honorable : avocat, procureur, écuyer ou marchand. Toulouse étant une ville ayant le droit de justice et de défense, ainsi que la seigneurie d’un vaste territoire alentour, leurs attributions étaient non seulement administratives, mais judiciaires et militaires. Leurs fonctions étaient reconnues par le roi comme nobles et anoblissantes.

[4] Une lettre de cachet (aussi appelée lettre close ou lettre fermée) est, sous l’Ancien Régime en France, une lettre servant à la transmission d’un ordre particulier du roi, permettant par exemple l’incarcération sans jugement, l’exil ou encore l’internement de personnes jugées indésirables par le pouvoir.

[5] Genève, ville suisse située à l’extrémité sud-ouest du Léman. Elle est la deuxième ville la plus peuplée de Suisse après Zurich. Elle est le chef-lieu et la commune la plus peuplée du canton de Genève. Dès 1526, des marchands allemands propagent à Genève les idées de la Réforme luthérienne parmi les commerçants genevois ; la même année, Genève signe un traité de combourgeoisie avec Berne et Fribourg. Sous l’influence de Berne, Genève accepte de laisser prêcher des prédicateurs dans la ville, dont Guillaume Farel en 1532. Le 10 août 1535, la célébration de la messe catholique est interdite et, le 26 novembre, le Conseil des Deux-Cents s’attribue le droit de battre monnaie à sa place alors que la ville est à nouveau menacée par la Savoie. La Réforme est définitivement adoptée le 21 mai 1536 en même temps que l’obligation pour chacun d’envoyer ses enfants à l’école. Genève devient dès lors le centre du calvinisme et se trouve parfois surnommée la « Rome protestante »

[6] Saint-Malo est une commune française située en Bretagne, dans le département d’Ille-et-Vilaine, et le principal port de la côte nord de Bretagne. Le 11 mars 1590, Saint-Malo proclame son indépendance au royaume de France et devient la République de Saint-Malo. L’épisode de quatre ans s’achèvera le 5 décembre 1594 avec la conversion au catholicisme du roi Henri IV, la ville revenant à l’issue de cette période dans le giron des rois de France. C’est avec la découverte des Amériques et le développement des échanges commerciaux avec les Indes (premier navire négrier armé à Saint-Malo en 1669) que Saint-Malo prend son envol économique et s’enhardit considérablement. Les armateurs deviennent plus nombreux et des personnages de cette époque font la renommée de la ville. Jacques Cartier découvre et explore le Canada, les corsaires harcèlent les marines marchandes et militaires ennemies, tels Duguay-Trouin, puis un peu plus tard Surcouf