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Ishtar ou Inanna

lundi 23 septembre 2024, par lucien jallamion

Ishtar ou Inanna

Déesse mésopotamienne d’origine sémitique

Vénérée chez les Akkadiens [1], Babyloniens [2] et Assyriens [3]. Elle correspond à la déesse de la mythologie sumérienne Inanna avec qui elle est confondue, une même déesse se trouvant manifestement derrière ces deux noms. Elle est considérée comme symbole de la femme, une divinité astrale associée à la planète Vénus [4], une déesse de l’amour et de la guerre, et souvent une divinité souveraine dont l’appui est nécessaire pour régner sur un royaume.

Tout au long de plus de 3 millénaires d’histoire sumérienne puis mésopotamienne, elle a été l’une des divinités les plus importantes de cette région, et a également été adoptée dans plusieurs pays voisins, où elle a pu être assimilée à des déesses locales. Elle a également repris par syncrétisme les aspects de différentes déesses mésopotamiennes et a été vénérée dans plusieurs grands centres religieux, prenant parfois des traits variés selon la localité où son culte se trouvait.

En tant que déesse majeure du panthéon mésopotamien, elle joue également souvent le rôle de divinité souveraine, octroyant la royauté. Un autre trait saillant de sa personnalité, plus complexe à cerner, est d’avoir la faculté d’associer les opposés et même de provoquer leur inversion, de briser les interdits.

Suivant une tradition probablement originaire d’Uruk [5], elle est la fille du dieu céleste An/Anu , autre divinité tutélaire de la ville. Une autre tradition sumérienne importante en fait la fille du dieu-lune, Nanna/Sîn , et elle avait alors pour frère le dieu-soleil Utu/Shamash et pour sœur la déesse infernale Ereshkigal . Mais dans d’autres cas encore elle est présentée comme la fille d’ Enlil ou comme celle d’ Enki/Ea . Elle n’est pas non plus associée à un époux divin unique : certes dans la tradition sumérienne sa relation avec Dumuzi est forte, mais leur relation est ambiguë puisque la déesse est à l’origine de sa mort. Elle peut être parfois présentée comme l’amante ou même l’épouse d’autres dieux. Certains textes lui attribuent des enfants sans dire qui en est le père. Dans la mythologie, elle dispose également d’un vizir, le dieu Ninshubur .

Son symbole le plus courant est une étoile ou une étoile inscrite dans un disque, symbolisant son rôle de divinité astrale

L’origine de la déesse Inanna/Ishtar est impossible à déterminer avec certitude car elle se produit à des époques pour lesquelles la documentation écrite est absente, et la documentation archéologique trop limitée pour bien connaître l’univers religieux. Elle se produit dans le contexte culturel spécifique des régions méridionales de la Mésopotamie du 4ème millénaire av. jc et du début du 3ème millénaire av. jc, qui voient coexister deux principaux groupes parlant des langues sans parenté, le sumérien [6], et l’akkadien [7].

Bien qu’il y ait des différences culturelles entre les deux groupes, ils évoluent en symbiose depuis longtemps et de nombreux échanges culturels ont eu lieu entre eux, avec une prééminence pour l’élément sumérien. L’histoire d’Inanna/Ishtar est marquée par la rencontre de ces deux peuples.

Si elle a sans doute eu dans les temps anciens un rôle concernant la fertilité des plantes et des animaux, Inanna s’affirme dans les textes de la fin du 3ème millénaire av. jc comme une déesse liée à l’amour puis de plus en plus à la sexualité, et non pas la fécondité.

Ishtar était une déesse couramment associée à la royauté. Elle est souvent désignée comme une Dame ou une Reine, et apparaît même à plusieurs reprises comme une pourvoyeuse de cette dignité, ce qui d’ordinaire était réservé aux dieux masculins. Cet aspect fut très affirmé au 3ème millénaire av. jc pour Inanna. Plusieurs souverains des cités-État de Sumer se présentaient alors comme choisis par la déesse, ou plus précisément comme aimés par elle. Ainsi d’ Eanatum de Lagash , qui affirme dans une de ses inscriptions célébrant ses triomphes que la déesse Inanna, parce qu’elle l’aime, elle lui a octroyé la royauté sur Kish [8] en plus de la souveraineté sur Lagash [9], et dans l’inscription de la Stèle des Vautours [10] qu’il est l’époux aimé d’Inanna. Cela se retrouve également à l’époque des rois d’Akkad [11], qui ont particulièrement affirmé leur lien avec Inanna : Naram-Sîn se présente à son tour comme l’aimé et l’époux de la déesse.

Sous les souverains de la troisième dynastie d’Ur [12], cette théorie politique culmine dans les textes liés au thème du Mariage sacré, qui a peut-être également donné lieu à une cérémonie : dans ces récits, le souverain, assimilé au dieu Dumuzi, devient l’époux d’Inanna, et l’amour qu’il reçoit de la déesse puis son union physique avec elle le légitiment et assurent la prospérité du royaume.

Après le début du 2ème millénaire av. jc, Inanna/Ishtar n’est plus l’amante des rois, mais leur protectrice lors des batailles. C’est donc son rôle guerrier qui devient plus valorisé dans l’idéologie politique. Cela se retrouve loin de la Mésopotamie, puisque l’Apologie de Hattusili III [13], texte du 13ème siècle av. jc relatant l’ascension politique d’un prince hittite devenu roi de ce pays, attribue celle-ci à la bienveillance d’Ishtar.

La proximité entre Ishtar et des souverains apparaît une dernière fois à l’époque néo-assyrienne [14], avec les figures d’Ishtar de Ninive [15] et Ishtar d’Arbèles [16], plusieurs fois présentées comme des protectrices des souverains assyriens, et même comme leurs mères ou nourrices qui les ont choisi pour exercer leur rôle. La relation entre le roi et la déesse est donc plutôt de type maternel, et non pas nuptial ou sexuel, cet aspect d’Ishtar étant apparemment moins prononcé en Assyrie voire absent.

Uruk [17] est le lieu de culte le plus durablement associé à Inanna/Ishtar, puisque son culte y est attesté dès la fin du 4ème millénaire av. jc, parmi les plus anciens documents écrits. La déesse, vénérée sous différentes formes et disposant apparemment de plusieurs temples est mentionné dans plusieurs textes de distributions d’offrandes. Inanna d’Uruk est dès ces époques une divinité majeure de Sumer, sans doute parce qu’Uruk est alors la plus puissante cité de ce pays.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de histoire de Jeremy Black, Graham Cunningham, Eleanor Robson et Gábor Zólyomi, Literature of Ancient Sumer, Oxford, Oxford University Press, 2004

Notes

[1] L’empire d’Akkad (ou empire d’Agadé, ou encore empire akkadien) est un État fondé par Sargon d’Akkad qui domina la Mésopotamie de la fin du 24ème siècle av. jc au début du 22ème siècle av. jc selon la chronologie la plus couramment retenue, même s’il est possible qu’il se soit épanoui environ un siècle plus tard, les datations étant incertaines pour une période aussi lointaine.

[2] Le royaume de Babylone s’est épanoui en Mésopotamie du sud du début du 2ème millénaire avant jc jusqu’en 539 av. jc, date de la prise de sa capitale par le roi Cyrus II de Perse. Cet État s’affirme à partir de la cité de Babylone dans le courant du 18ème siècle av. jc, sous l’impulsion du plus grand roi de sa première dynastie, Hammurabi. Après son pillage par les Hittites en 1595 av jc, Babylone passe sous l’autorité d’une dynastie d’origine kassite qui stabilise ce royaume pendant plus de quatre siècles. Cette période marque le début de la rivalité avec le royaume voisin situé au nord, l’Assyrie, qui marque les siècles suivants. Après plusieurs siècles d’instabilité entre 1100 et 800 av. jc, la Babylonie passe sous la coupe de l’Assyrie pendant plus un siècle (728-626 av. jc), avant d’initier une réaction qui aboutit à la destruction de l’Assyrie et à la formation de l’empire néo-babylonien (626-539 av. jc) par Nabopolassar et Nabuchodonosor II. Cette dernière phase de l’histoire du royaume de Babylone est brève, s’achevant en 539 av. jc par sa conquête par le roi perse Cyrus II. Dès lors, Babylone n’est plus dominée par une dynastie d’origine autochtone : aux Perses Achéménides (539-331 av. jc) succèdent les Grecs Séleucides (311-141 av. jc), puis les Parthes Arsacides (141 av. jc-224 ap. jc). La Babylonie conserve néanmoins sa prospérité jusqu’aux débuts de notre ère, tandis que sa culture millénaire s’éteint lentement.

[3] L’Assyrie est une ancienne région du Nord de la Mésopotamie, qui tire son nom de la ville d’Assur, qui est aussi celui de sa divinité tutélaire, le dieu Assur. À partir de cette région s’est formé au 2ème millénaire av. jc un royaume puissant qui est devenu par la suite un empire. Aux 8ème et 7ème siècles av. jc, l’Assyrie contrôle des territoires s’étendant sur la totalité ou sur une partie de plusieurs pays actuels tels l’Irak, la Syrie, le Liban, la Turquie ou encore l’Iran.

[4] Vénus est la deuxième planète du Système solaire par ordre d’éloignement au Soleil, et la sixième plus grosse aussi bien par la masse que le diamètre. Vénus orbite autour du Soleil tous les 224,7 jours terrestres. Avec une période de rotation de 243 jours terrestres, il lui faut plus de temps pour tourner autour de son axe que toute autre planète du Système solaire. Comme Uranus, elle possède une rotation rétrograde et tourne dans le sens opposé à celui des autres planètes

[5] Uruk ou Ourouk est une ville de l’ancienne Mésopotamie, dans le sud de l’Irak. Le site est aujourd’hui appelé Warka, terme dérivé de son nom antique, qui vient de l’akkadien, et qui a aussi donné l’hébreu Erekh dans la Bible. Le site d’Uruk fut occupé à partir de la période d’Obeïd (vers 5000 av. jc), et ce jusqu’au 3ème siècle de notre ère. Cette ville joua un rôle très important sur les plans religieux et politiques pendant quatre millénaires. Uruk est l’une des agglomérations majeures de la civilisation mésopotamienne. Elle passe pour être la plus ancienne agglomération à avoir atteint le stade urbain dans la seconde moitié du 4ème millénaire av. jc, pendant la période à laquelle elle a donné son nom (période d’Uruk), et c’est vraisemblablement là que l’écriture a été mise au point au même moment.

[6] Le sumérien est une langue morte qui était parlée dans l’Antiquité en Basse Mésopotamie. Elle est ainsi la langue parlée à Sumer aux 4ème et 3ème millénaires av. jc. Le sumérien comportait deux variétés (sociolectes) connues : l’émegir et l’emesal. Le sumérien est un isolat linguistique, c’est-à-dire qu’il n’a jamais pu être, jusqu’à aujourd’hui, rattaché à une famille de langues connue (comme d’autres langues au Proche-Orient ancien, telles que le hatti et l’élamite). Le sumérien semble être la plus ancienne langue écrite connue, sous une forme d’écriture appelée le cunéiforme, voire la plus ancienne langue connue

[7] L’akkadien est une langue chamito-sémitique éteinte, de la famille des langues sémitiques, fortement influencée par le sumérien. Elle est parlée en Mésopotamie au moins du début du 3ème jusqu’au 1er millénaire av. jc. Le nom de la langue, déjà employé durant l’Antiquité, vient de celui de la ville d’Akkad, capitale de l’empire du même nom. Au cours du 2ème et du 1er millénaire av. jc, l’akkadien est représenté par deux dialectes : le babylonien dans le Sud de la Mésopotamie (Babylonie), et l’assyrien dans le Nord (Assyrie). Au cours des derniers siècles il est de moins en moins parlé, supplanté par l’araméen ; il est encore utilisé comme écriture savante par les lettrés de la Babylonie tardive.

[8] Kish est une ville (mais aussi un dieu) de l’ancienne Mésopotamie, particulièrement importante aux époques archaïques, durant lesquelles elle a longtemps exercé sa domination sur les autres États de Basse-Mésopotamie. Cette ville s’étend sur une grande surface, et compte deux ensembles principaux : Tell Inghara et Tell el-Oheimir. C’est de cette ville qu’est sûrement originaire Sargon, fondateur de l’empire d’Akkad.

[9] Lagash est une ancienne ville du pays de Sumer, en Basse Mésopotamie (au sud de l’Irak actuel), et un royaume dont elle était au moins à l’origine la capitale. Cette ancienne cité État comprenait, en plus de la ville éponyme située sur le site actuel d’Al-Hiba, Girsu (le site actuel de Tello), ville sainte où se trouve le sanctuaire de la divinité tutélaire du royaume, Ningirsu, et d’où proviennent la plupart des découvertes archéologiques et épigraphiques qui permettent de connaître l’histoire du royaume de Lagash.

[10] La stèle des vautours, ou stèle de victoire d’Eannatum, roi de Lagash, est une stèle historiée datée des dynasties archaïques III (2500-2340 av. jc), vers 2450 av. jc commémorant la victoire de la cité-État Lagash sur sa rivale Umma. Elle a été exhumée en état fragmentaire sur le site de Tello (l’antique Girsu) en Mésopotamie. Il s’agit de la première stèle historiée connue, insistant sur une victoire militaire et le rôle guerrier du souverain. Elle est conservée au département des Antiquités Orientales du musée du Louvre.

[11] Akkad ou Agade est une ville antique de Basse Mésopotamie, ancienne capitale de l’Empire d’Akkad, fondé par Sargon l’Ancien. Elle n’a toujours pas été retrouvée, et sa situation exacte demeure donc inconnue. On la situe soit dans les environs de Kish, ou bien plus au nord, jusque dans la région de Bagdad (peut-être même à l’emplacement de l’actuelle capitale de l’Irak), ou la basse vallée de la Diyala. Le seul moyen de connaître certains de ses aspects est le recours aux textes anciens. La ville n’est mentionnée dans aucune source avant que Sargon d’Akkad n’en fasse la capitale de son Empire au 24ème siècle av. jc, il est donc vraisemblable qu’il ait fondé la ville

[12] Ur (Our), actuellement Tell al-Muqayyar, est l’une des plus anciennes et des plus importantes villes de la Mésopotamie antique, dans l’actuel Irak. Elle était alors située sur une des branches de l’Euphrate et proche du Golfe Persique. Ur apparaît comme une des principales et des plus puissantes cités sumériennes du 3ème millénaire av. jc, comme l’illustrent les tombes royales et le riche mobilier funéraire qui y fut exhumé. Durant le 21ème siècle av. jc cette ville fut la capitale d’un puissant empire, dirigé par les rois de ce que la tradition mésopotamienne a retenu comme la troisième dynastie d’Ur. Ces derniers édifient des monuments remarquables dans le sanctuaire du grand dieu de la ville, le Dieu-Lune, appelé Nanna en sumérien et Sîn en akkadien. Elle reste une ville importante au début du 2ème millénaire av. jc comme l’attestent les nombreuses découvertes de constructions et de tablettes cunéiformes effectuées pour cette période par les équipes archéologiques, qui explorèrent ses ruines entre 1922 et 1934. Ur demeure une cité assez importante en dépit d’un déclin marqué durant le 1er millénaire av. jc, avant son abandon vers le 3ème siècle av. jc. Dans la Bible, Ur des Chaldéens est présentée comme la ville d’origine du patriarche Abraham.

[13] L’Apologie de Hattusili III est un texte hittite qui met en scène le roi Hattusili III (1267-1237 av. jc) racontant comment, sous la protection bienveillante de la déesse Shaushga, il s’est hissé jusqu’à la tête du royaume des Hittites. Il s’agit d’un document d’un intérêt majeur pour la compréhension de l’histoire et de l’historiographie de l’Empire hittite au 13ème siècle av. jc. La singularité de ce texte, qui est l’un des seuls textes hittites relevant du genre de l’apologétique royale, s’explique par les circonstances exceptionnelles qui ont vu Hattusili arriver au pouvoir.

[14] 7ème siècle av. jc

[15] Ninive une ancienne ville de l’Assyrie, dans le Nord de la Mésopotamie. Elle se situait sur la rive est du Tigre, au confluent du Khosr, dans les faubourgs de la ville moderne de Mossoul, en Irak, dont le centre se trouve de l’autre côté du fleuve. Les deux sites principaux de la cité sont les collines de Kuyunjik et de Nebī Yūnus. Ninive est l’une des plus anciennes cités de Mésopotamie. Elle était un important carrefour de routes commerciales traversant le Tigre. Elle occupait une position stratégique sur la grande route entre la mer Méditerranée et le plateau iranien, ce qui lui a apporté la prospérité, de sorte qu’elle est devenue l’une des plus grandes cités de toute la région. Elle doit néanmoins sa plus grande expansion urbaine au choix du roi assyrien Sennacherib d’en faire la capitale de son grand empire au début du 7ème siècle av. jc. Ninive est alors entourée de remparts de briques sur une longueur de 12 km. L’espace total de la cité couvrait 750 hectares à son apogée.

[16] Arbèle ou Arbèles est une cité antique assyrienne située en Mésopotamie, capitale de la région nommée Adiabène. Cette ville est connue par l’histoire d’Alexandre le Grand qui y aurait vaincu Darius III en 331 av. jc à la bataille d’Arbèles ou de Gaugamèles. Elle porte aujourd’hui le nom d’Erbil et fait partie du Kurdistan irakien.

[17] Uruk ou Ourouk est une ville de l’ancienne Mésopotamie, dans le sud de l’Irak. Le site est aujourd’hui appelé Warka, terme dérivé de son nom antique, qui vient de l’akkadien, et qui a aussi donné l’hébreu Erekh dans la Bible. Le site d’Uruk fut occupé à partir de la période d’Obeïd (vers 5000 av. jc), et ce jusqu’au 3ème siècle de notre ère. Cette ville joua un rôle très important sur les plans religieux et politiques pendant quatre millénaires. Uruk est l’une des agglomérations majeures de la civilisation mésopotamienne. Elle passe pour être la plus ancienne agglomération à avoir atteint le stade urbain dans la seconde moitié du 4ème millénaire av. jc, pendant la période à laquelle elle a donné son nom (période d’Uruk), et c’est vraisemblablement là que l’écriture a été mise au point au même moment.