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Jean de Tella ou Jean bar Qursos

vendredi 15 novembre 2019

Jean de Tella ou Jean bar Qursos (482/483-538)

Évêque de Tella de 519 à 521

Né à Callinicum [1], religieux chrétien syrien de tendance monophysite [2], qui siégea comme évêque de Tella [3], près d’Édesse [4].

Sa vie a été racontée par un de ses disciples nommé Élie, dont le texte a été conservé dans 3 manuscrits. D’autre part, il est également l’objet d’une des “Vies des saints orientaux” de Jean d’Éphèse.

Il était d’une famille de notables de Callinicum et perdit son père à l’âge de 2 ans et demi. Élevé avec soin par une mère très pieuse et par ses grands-parents, à 20 ans il entra dans les services du gouverneur de la ville, et sa mère le fiança, espérant le voir mener une brillante carrière profane.

Attiré par la vie religieuse, il résista à ses desseins. Visitant les reclus de la région, et influencé par la lecture des Actes de Paul et Thècle [5], à 25 ans il reçut la tonsure au monastère Mor Zakhay, près de la ville, malgré les pleurs de sa mère.

En 519, après la mort de l’empereur Anastase 1er et alors que le monophysisme était redevenu illégal et objet de persécution, il fut élu évêque de Tella par le synode de la province d’Édesse, et convaincu d’accepter cette élection par Jacques de Saroug , alors évêque de Batnæ.

Il proclama aussitôt son rejet total du concile de Chalcédoine [6], se fit apporter les diptyques [7] de son diocèse et en raya solennellement le nom de son prédécesseur Sophrone, qui avait pris part au concile maudit, et les noms de tous ceux qui en avaient admis les décrets. Certains, dans l’assemblée, firent observer que cet éclat était peu opportun, mais il les rembarra avec véhémence.

En 519, l’administration de Justin 1er n’imposait pas encore l’adhésion à Chalcédoine à l’est de l’Euphrate [8], mais ce fut bientôt le cas. En 521, Jean préféra quitter son évêché plutôt que de signer la profession de foi qu’on avait fini par exiger des évêques de la province d’Édesse. Ce fut aussi l’attitude d’une douzaine de ses collègues dans toute la région. Ils se réfugièrent dans des monastères, et Jean retourna d’abord un temps à Mor Zakhay, avant d’en être chassé.

Jean de Tella se rattachait à la mouvance de Sévère d’Antioche, qui s’était réfugié en Égypte après sa déposition en 518, et avec lequel il était en contact épistolaire. Il combattit d’ailleurs aussi la tendance rivale qui apparut alors parmi les monophysites, celle de Julien d’Halicarnasse. Les monophysites sévériens se constituèrent en une Église clandestine dans toute la Syrie et la Cappadoce [9], mais les évêques qui en étaient se refusaient, malgré la pression de certains de leurs fidèles, à franchir la ligne rouge qui consistait à ordonner un clergé schismatique, ce qui aurait déchaîné la répression.

Ils le refusèrent formellement lors d’un concile clandestin, mais Jean, toujours intransigeant, leur reprocha leur timidité et se lança seul dans l’aventure de l’ordination de prêtres et de diacres séparés de l’Église officielle, mettant en place un réseau clandestin où l’on devait se présenter avec une lettre de recommandation et faire l’objet d’une enquête pour être reçu. En 529, il ordonna notamment diacre le jeune moine Jean d’Éphèse, avec, selon celui-ci, 70 candidats retenus de la région d’Amida [10].

En 531, l’empereur Justinien et sa femme Théodora, laquelle passait pour favorable aux monophysites, décidèrent de faire venir des représentants de la dissidence, munis de saufs-conduits, à Constantinople, et d’ouvrir des discussions pour obtenir leur ralliement. Jean de Tella, avec 8 autres évêques syriens dissidents, fut de ces négociations. Son biographe et disciple Élie présente celles-ci comme une tentative de soudoiement, notamment de la part de l’impératrice, et ne fait d’ailleurs pas de différence entre cette dernière et l’empereur. Ces pourparlers n’eurent aucun résultat.

En 536, le patriarche Éphrem d’Antioche, ancien haut fonctionnaire civil, obtint de l’empereur une armée, à la tête de laquelle il se mit, pour en finir par la force brute avec la dissidence monophysite dans tout l’est de sa province. Jean de Tella, considéré comme son chef le plus dangereux, était alors réfugié en territoire perse, dans les neiges du mont Sindjar [11], pour la troisième fois précise Élie. Éphrem s’entendit avec le marzban [12] de Nisibe [13], nommé Mihrdaden, pour organiser une opération sur le mont et y rafler Jean et ses disciples. Ceux-ci furent trahis, paraît-il, par un moine de la mouvance de Julien d’Halicarnasse, qui indiqua aux soldats l’endroit où ils habitaient le 1er février 537.

Jean fut détenu à Nisibe pendant 30 jours, accusé d’être entré illégalement sur le territoire perse, et il fut livré aux Byzantins dans la forteresse frontalière de Dara [14].

Il fut conduit à Resh ‘Ayna [15] où le patriarche Éphrem devait arriver avec son armée. On y fit pression sur lui pour qu’il capitule, et on répandit d’ailleurs faussement le bruit qu’il l’avait fait. Il fut ensuite conduit à Antioche [16] et enfermé avec d’autres dans le monastère dit du comte Manassès*. Il fut confié, paraît-il, à des gardiens fort grossiers, et Jean d’Éphèse, notamment, décrit ses derniers mois comme un martyre. Il mourut dans ce monastère au bout de 10 mois et 7 jours, sans avoir renié ses convictions.

Premier organisateur, avant Jacques Baradée , d’une Église syrienne monophysite séparée de l’Église byzantine officielle, il a laissé des textes doctrinaux et disciplinaires transmis en syriaque [17].

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du livre de Nathanael J. Andrade, « The Syriac Life of John of Tella and the Frontier Politeia », Hugoye, vol. 12, n° 2, 2009,

Notes

[1] Raqqa, est une ville du centre de la Syrie. C’est la capitale éponyme du gouvernorat de Raqqa. Située dans le Nord du pays, la ville de Raqqa est établie sur les rives de l’Euphrate en aval du lac el-Assad, à 170 km à l’est d’Alep. Elle doit sa fondation sous le nom de Nikephorion, au roi Séleucos 1er qui règne de 305 à 281 av. jc. Vers 244, Séleucos II fait agrandir la ville et la renomme d’après son surnom Kallinikos (latinisé en Callinicum) signifiant « grand vainqueur ». Elle fait alors partie de l’Osroène.

[2] Le monophysisme est une doctrine christologique apparue au 5ème siècle dans l’Empire byzantin en réaction au nestorianisme, et ardemment défendue par Eutychès et Dioscore d’Alexandrie.

[3] Viranşehir est une ville et un district de la province de Şanlıurfa dans la région de l’Anatolie du sud-est en Turquie. Cette ville était appelée Constantine d’Osroène sous le Bas Empire romain, Tella d’Mawzlat en syriaque. Ce fut la ville natale de Jean de Tella, Jacques Baradée, Serge de Tella.

[4] Şanlıurfa est une ville du sud-est de la Turquie. Elle fut d’abord nommée Urhai (en arménien, ou Orhai, en araméen), puis Édesse (ou Édessa), puis Urfa et aujourd’hui Şanlıurfa ou Riha en kurde.

[5] Les actes de Paul et Thècle sont un récit apocryphe de l’influence de Paul sur une jeune vierge nommée Thècle et la vie romancée de celle-ci.

[6] Le concile de Chalcédoine est le quatrième concile œcuménique et a eu lieu du 8 octobre au 1er novembre 451 dans l’église Sainte-Euphémie de la ville éponyme, aujourd’hui Kadıköy, un quartier chic de la rive asiatique d’Istanbul. Convoqué par l’empereur byzantin Marcien et son épouse l’impératrice Pulchérie, à partir du 8 octobre 451, le concile réunit 343 évêques dont quatre seulement viennent d’Occident. Dans la continuité des conciles précédents, il s’intéresse à divers problèmes christologiques et condamne en particulier le monophysisme d’Eutychès sur la base de la lettre du pape Léon 1er intitulée Tome à Flavien (nom du patriarche de Constantinople, destinataire de la lettre du pape).

[7] Un diptyque est une œuvre de peinture ou de sculpture composée de deux panneaux, fixes ou mobiles, et dont les sujets se regardent et se complètent l’un l’autre.

[8] L’Euphrate est un fleuve d’Asie de 2 780 km de long. Il forme avec le Tigre dans sa partie basse la Mésopotamie, l’un des berceaux de la civilisation

[9] La Cappadoce est une région historique d’Asie Mineure située dans l’actuelle Turquie. Elle se situe à l’est de la Turquie centrale, autour de la ville de Nevşehir. La notion de « Cappadoce » est à la fois historique et géographique. Les contours en sont donc flous et varient considérablement selon les époques et les points de vue.

[10] Diyarbakır est une ville du sud-est de la Turquie. Elle était également appelée Amida sous l’Empire romain. Les Kurdes constituant la majeure partie de la population de la ville la considèrent comme la capitale du Kurdistan turc, dans le sud-est anatolien. Appelée Amida dans l’Antiquité, ce qui lui vaut son nom de Kara Amid, la « Noire Amida », elle fut la capitale du royaume araméen de Bet-Zamani à partir du 13ème siècle av. jc, puis d’un royaume arménien appelé Cordyène ou Cardyène. La région devint par la suite une province de l’Empire romain ; Amida était au 4ème siècle la principale place forte de Mésopotamie, dans la haute vallée du Tigre. Amida fut un centre religieux lié au patriarcat syriaque-orthodoxe d’Antioche. De cette époque, jusqu’au génocide arménien de 1915, la région est fortement peuplée d’Arméniens. La région comportait également une minorité chaldéenne. La ville d’Amida fut le siège du patriarcat chaldéen de 1681 à 1828.

[11] Les monts Sinjar sont une chaîne de montagne de faible ampleur, mais relativement isolée, située à l’ouest de la ville de Tall Afar et à proximité nord de la ville éponyme de Sinjâr, dans la province de Ninive, en Irak.

[12] Le marzpanat ou marzbanat est le système de gouvernement instauré par les Sassanides en Arménie, en vigueur de 428 à 646. À sa tête est installé un marzpan ou marzban (« gouverneur »).

[13] Nusaybin est une ville du sud-est de la Turquie située dans la province de Mardin, à la frontière turco syrienne. Elle est un haut lieu de l’histoire du christianisme de langue syriaque. C’est l’ancienne Antioche de Mygdonie. En 298 un accord de paix y est conclu entre l’Empire romain et les Sassanides à la suite de la victoire l’année précédente de Galère sur le « Grand Roi » Narseh. La ville fut le siège de l’École théologique de Nisibe, une des grandes écoles théologiques des premiers siècles du christianisme, en prenant la suite de l’école d’Édesse (dite aussi école des Perses) après la fermeture de celle-ci en 489. En 530, Nisibe est le théâtre d’une bataille pendant la guerre d’Ibérie opposant l’empire byzantin sous le commandement du général Bélisaire, aux Sassanides de Kavadh 1er. Kavadh 1er, avec l’aide des Lakhmides, battit les forces de Bélisaire, résultant en une victoire sassanide après la défaite de la bataille de Dara.

[14] Dara ou Daras forteresse byzantine marquant la frontière avec l’empire sassanide. Le site a été le théâtre d’importantes batailles entre les deux empires en 530 et en 573. Le village d’Oğuz se trouve dans la province de Mardin en Turquie à 30 km au sud-est de la ville de Mardin sur la route de Nusaybin (Nisibe).

[15] actuel Ra’s al-‘Ayn

[16] Antioche est une ville de Turquie proche de la frontière syrienne, chef-lieu de la province de Hatay. Elle est située au bord du fleuve Oronte. Antioche était la ville de départ de la route de la soie.

[17] Le syriaque est une langue sémitique du Proche-Orient, appartenant au groupe des langues araméennes. L’araméen existe au moins depuis le 12ème siècle av. jc et a évolué au cours des siècles. Le syriaque représente si l’on veut un « dialecte » de l’araméen (celui de la région d’Édesse) qui s’est constitué comme langue écrite au début de l’ère chrétienne.