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Forme et dimensions de la Terre aux 17 et 18ème siècles

lundi 6 juin 2016, par lucien jallamion

Forme et dimensions de la Terre aux 17 et 18ème siècles

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Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1751, Tome I. (Bibliothèque de l’Observatoire de Paris)

La question de la forme et des dimensions de la Terre , quelque temps oubliée, puis reposée à partir de la Renaissance, devient au cours de la période qui s’ouvre une interrogation centrale. Les nouvelles méthodes de triangulation permettent au 17ème siècle de mesurer avec précision la longueur d’un arc de méridien terrestre. A la suite des travaux de Snellius aux Pays-Bas, Picard, en 1669, mesure l’arc de méridien compris entre Malvoisine et Amiens, et trouve pour la longueur du degré 57 060 toises. Quelques années après, en 1683, Jean Dominique Cassini, et plus tard encore, en 1700, Jacques Cassini, aidé de Philippe Maraldi, son neveu, prolongent le méridien jusqu’au midi de la France ; enfin, en 1718, Jacques Cassini, Dominique, Maraldi, et La Hire (le fils), le prolongeront encore depuis Amiens jusqu’à la frontière du nord.

Entre-temps, des raisons théoriques ont suggéré que la forme de la Terre ne devrait pas être exactement celle d’une sphère. Huygens et Newton, partant de l’hypothèse où notre globe aurait été primitivement à l’état fluide, ont démontré en effet que la surface de la Terre devait être un ellipsoïde* de révolution autour de la ligne des pôles, cette forme étant celle qu’une masse fluide doit prendre sous l’action conjuguée de l’attraction et de la force centrifuge. Le rayon qui va au pôle devant être un peu moindre que le rayon équatorial ; dans ce cas le globe doit présenter un léger aplatissement aux pôles et un léger renflement à l’équateur.

Encore fallait-il vérifier ces considérations théoriques. Il suffisait d’étudier la forme d’un méridien terrestre, et pour cela d’en mesurer quelques arcs à différentes latitudes. Le débat fut alors d’autant plus vif, et la nécessité de décider d’autant plus opportune, qu’en France, où l’on refusait toute science venue d’Angleterre. Au début du 18ème siècle, plusieurs décennies après la parution des Principia de Newton, on se raccrochait toujours à l’inopérante physique de Descartes. Et cela avec d’autant plus de conviction que les mesures du méridien, entachées de quelques erreurs qui ne furent reconnues que plus tard, semblaient établir que la longueur du degré allait plutôt en diminuant de l’équateur au pôle, au lieu d’aller en augmentant comme on s’y attendait. Certes, on disposait déjà en France de données expérimentales allant dans le sens de l’aplatissement aux pôles, indépendantes des considérations tirées de la figure d’équilibre d’une masse fluide. Richer avait observé qu’une horloge astronomique réglée à Paris retardait à Cayenne en Guyane de 2 minutes par jour, et que le pendule simple qui bat la seconde est plus court à Cayenne qu’à Paris, ce qui semblait s’accorder avec l’hypothèse d’un renflement à l’équateur, puisque l’intensité de la pesanteur y était moindre. Cependant, un raisonnement sur les variations de pesanteur n’est pas aussi probant qu’une mesure directe.

Les géomètres et les astronomes se partagèrent donc en deux camps. Les uns, les Anglais à leur tête, soutenaient les idées de Newton sur l’aplatissement ; les autres, surtout ceux qui en France subissaient l’influence des Cassini, concluaient à un allongement. Des philosophes, étrangers aux sciences, prirent parti dans la querelle. Mais, pour décider de la question, il importait d’opérer sur une étendue plus considérable que la France, parce que, sur un arc de quelques degrés, de légères erreurs peuvent avoir assez d’influence pour masquer la véritable marche des résultats. L’Académie des sciences prit donc, en 1734, le parti de faire mesurer un arc de méridien près de l’équateur et un autre près du pôle. Une première équipe, conduite par Godin et La Condamine fut chargée d’une mesure qui fut exécutée au Pérou Une seconde équipe, menée par Maupertuis exécuta l’autre mesure en Laponie. Vers la même époque, en 1739, Cassini de Thury et Lacaille reprirent les mesures exécutées en France, et leur travail confirma les résultats trouvés par Picard.

D’autres arcs de méridien, mesurés par la suite, aussi bien au 17ème qu’au début du 18ème siècle, par divers observateurs, ont encore confirmé l’hypothèse de l’aplatissement. Un arc de près de 10° mesuré dans l’Inde par Lambton et Everest, un arc d’un degré et demi mesuré en Pennsylvanie par Mason et Dixon, un arc d’un peu plus de 2° mesuré en Italie par Boscovich et Le Maire, un arc de près de 4° mesuré en Angleterre par Roy, un arc d’un degré et demi environ mesuré en Suède par Melanderhjelm et Svanberg ; il convient d’ajouter à cette liste l’arc d’un peu plus d’un degré mesuré dès 1750 par La Caille au cap de Bonne Espérance. Par l’ensemble de ces travaux, l’aplatissement fut mis définitivement hors de doute. L’idée que la Terre a la forme d’un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles était déjà acceptée par tous à la fin du 18ème siècle. Mais, à cette époque, d’autres défis étaient à relever qui relancèrent les triangulations à grande échelle. C’est ainsi qu’à l’occasion de la réforme des poids et mesures. Delambre et Méchain effectuèrent, de 1792 à 1798, la mesure de l’arc de méridien compris entre Dunkerque et Barcelone, mesure qui a été prolongée au siècle suivant jusqu’à l’île de Formentera aux Baléares par Biot et Arago.

Au 18ème siècle les découvertes de Newton étaient encore loin d’être acceptées comme des vérités incontestables. Aussi parut-il que le meilleur des moyens propres à révéler la forme réelle de la Terre était de mesurer plusieurs degrés d’un même arc de méridien, d’autant plus que chacune des deux théories contenait un vice, parce qu’elles supposaient la Terre entièrement fluide et homogène ou tout au moins également dense dans toutes ses parties. Or cette dernière hypothèse n’était même pas la généralisation des faits observés ; on sentait que la nature pouvait fort bien s’en être beaucoup écarté. Par suite, la figure réelle de la Terre pouvait être fort différente de celle que lui assignaient l’une et l’autre théorie.

Si la Terre était sphérique, tous les degrés de méridien seraient égaux ; mais si celle-ci était elliptique les degrés seraient inégaux et iront en croissant de l’extrémité du grand axe à celle du petit. En conséquence, si la Terre serait renflée suivant son équateur, les degrés augmenteraient de l’équateur au pôle.

Les adversaires de Newton n’étaient pas encore convaincus. Il fallut qu’une nouvelle mesure de l’arc français, conduite par Cassini III, aidé de Maraldi, vint mettre en évidence la loi de variation des degrés de l’arc français. Cette opération a été décrite en 1744 par Cassini, dans l’ouvrage intitulé la Méridienne, vérifiée dans toute l’étendue du royaume. Elle fut conduite avec toute la précision possible et fournit des degrés dont la longueur augmentait manifestement du Sud au Nord. Le levé du territoire français avait été réalisé au moyen de grands triangles appuyés au méridien de Paris, et permit aussi de commencer la gravure de la Carte de France qui porte le nom de Cassini. La question de la forme de la Terre semblait donc bien établie ; la guerre se ralluma au sujet de la mesure de Picard, Cassini ayant trouvé une différence de 6 toises en moins sur la base employée par cet astronome. L’amplitude de l’arc fut de nouveau observée et le degré moyen arrêté à 57 074,5 toises. Le désaccord du degré moyen de Picard et du degré de Cassini laissait planer une assez grande incertitude sur la valeur de l’aplatissement, lorsque les académiciens du Pérou vinrent compliquer la question. La comparaison des degrés de l’équateur et du Pérou donnait en effet 1/215, quantité qui s’accordait très bien avec la valeur d’un degré de longitude mesuré à la latitude de 43° 32’. Toutefois Bouguer, afin d’expliquer la valeur rectifiée du degré de Picard, fixée à 57 074 toises, crut devoir substituer à la figure ellipsoïdale de la Terre celle d’un sphéroïde aplati dans lequel les degrés croîtraient comme les quatrièmes puissances des sinus de la latitude. L’aplatissement devenait 1/178.

En 1752, l’abbé de La Caille mesura au cap de Bonne-Espérance, sous la latitude australe de 38° 18’, un degré de méridien et le trouva égal à 57 037 toises, valeur qui s’accordait très bien avec l’aplatissement 1/215 et non pas avec l’hypothèse de Bouguer ; mais comme il était presque identique au degré moyen de France située une distance bien plus grande de l’équateur, il semblait résulter de cette coïncidence que les 2 hémisphères n’étaient pas pareils. Enfin une mesure assez médiocre sans doute, effectuée en Italie à la latitude de 43°, par les pères Boscowitch et Le Maire, donna lieu de supposer que la Terre n’était pas un corps de révolution.

Le milieu du 18ème siècle vit éclore une quantité considérable de travaux théoriques sur la question de la figure d’équilibre d’une masse fluide, animée d’un mouvement de rotation. D’autres géomètres se sont essayés au cours des décennies suivantes sur ces questions, mais n’ont rien ajouté d’essentiel, ou du moins rien qui soit du domaine propre de la géodésie. La fin du 18ème siècle est marquée par l’entreprise de Delambre, la 4ème mesure de la méridienne de France, exécutée avec des instruments nouveaux qui permettaient d’atteindre une précision inconnue jusque-là dans les mesures des bases et même dans les mesures d’angles. Borda venait en effet d’imaginer la méthode de la répétition des angles, au moyen de laquelle on mesure un multiple de l’angle cherché, circonstance qui permet d’obtenir cet angle avec une exactitude très grande. Les opérations furent commencées en 1792, interrompues en janvier 1794* (arrêté du 3 nivôse an II). Elles furent reprises 18 mois plus tard et achevées en 1799. Les angles des stations comprises entre Dunkerque et Rodez furent, ainsi que les 2 bases, mesurées par Delambre ; les angles des stations situées entre Rodez et Barcelone sont dus à Méchain. Et cette mesure a été prolongée jusqu’à l’île de Formentera par Biot et Arago.

Le nom de Delambre a été plus spécialement attaché à cette oeuvre, parce qu’il a effectué seul plus des deux tiers des déterminations angulaires, ainsi que l’évaluation des longueurs des deux bases et que, enfin, il a assumé la tâche de calculer, de discuter et de publier les résultats de cet énorme travail.

La nouveauté des instruments et des méthodes, la conscience et la constance de l’observateur excitèrent un étonnement universel. Cependant ses conclusions ne furent pas unanimement adoptées dès l’abord ; l’hypothèse de l’allongement conserva quelques partisans ; c’est ainsi que l’illustre Bernardin de Saint-Pierre, confondant les normales à l’ellipse avec des rayons, déduisait de l’accroissement de longueur du degré vers les pôles une conclusion diamétralement contraire à celle des géomètres. En fait, les insuffisances et les erreurs des résultats de Delambre et Méchain existaient, comme le montrera la géodésie au 19ème siècle. Mais ils étaient d’une nature qui ne pouvait qu’échapper aux contradicteurs du moment. En attendant, l’arc français servit de type aux opérations de même nature qui furent ensuite entreprises ailleurs. Grâce à tant d’efforts divers, la question de la forme de la Terre était entrée à la toute fin du 18ème siècle dans une nouvelle phase.