Rabbi Meïr (2ème siècle)
Il est un des docteurs de la Mishna [1] les plus éminents de la quatrième génération [2].
Dispensateur de l’enseignement de Rabbi Akiva après la révolte de Bar Kokhba [3], il se distingue par sa sagacité et serait à l’origine de l’ensemble des mishnayot compilées par son disciple, Rabbi Juda Hanassi.
Il serait originaire d’Asie Mineure [4].
Conformément à l’une de ses maximes, le jeune Meïr étudie auprès de 3 maîtres : il commence son parcours auprès de Rabbi Akiva mais, incapable de suivre son raisonnement, il continue son apprentissage chez Rabbi Ishmaël où il acquiert une connaissance approfondie de la Loi. Il suit également les leçons d’ Elisha ben Avouya , demeurant attaché à lui après son apostasie [5].
Retourné chez son premier maître qui reconnaît rapidement ses capacités, il est promu Rabbi mais cette ordination n’est pas acceptée de tous, du fait du jeune âge de Meïr et devra être validée par Juda ben Baba .
Rabbi Meïr exerce la profession de scribe [6] et prend pour épouse Brouria , fille de Rabbi Hanania ben Teradion. Il ne semble pas avoir été associé à la révolte de Bar Kokhba mais son beau-père est l’un des 10 Sages mis à mort par l’empire romain pour avoir bravé leurs décrets. Peu après, il se rend à Rome, pour sauver sa belle-sœur de la maison close où elle est enfermée.
Vêtu comme un riche Romain, Rabbi Meïr offre au gardien une somme d’argent conséquente dont une partie servira à apaiser les autorités ; comme le gardien s’inquiète de son devenir après que l’argent aura été épuisé, le Sage lui prescrit de dire Elaha de Meïr aneni* (Dieu de Meïr, réponds-moi) en cas de besoin. Peu après, Rabbi Meïr, recherché par le pouvoir, doit fuir en Babylonie [7] avec sa femme.
Après la mort de l’empereur Hadrien, les étudiants de Rabbi Akiva, parmi lesquels Rabbi Meïr, retournent en Judée puis à Oucha [8], en Galilée [9], où ils rétablissent le Sanhédrin [10], abandonné après que les Sages ont fui Yavné [11] lors de la révolte de Bar Kokhba.
Élevé peu après à la dignité de hakham [12] par le Nassi [13] Simon ben Gamaliel II, Rabbi Meïr prépare les sujets à discuter dans le Sanhédrin, établissant par ailleurs des académies à Beït Shéan [14], Emmaüs [15], etc. Lorsque le Nassi décide d’introduire diverses mesures pour abolir l’égalité existant jusque-là entre les membres du collège académique, Rabbi Meïr et Rabbi Nathan décident de le déposer en prouvant son incompétence par des questions hautement pointues.
Expulsés, ils se font rapidement réadmettre car les questions qu’ils posent stimulent bien plus les étudiants que les sujets discutés dans le Sanhédrin ; toutefois, le Nassi exige que les opinions de Rabbi Meïr soient dorénavant introduites par la formule d’autres disent. Rabbi Meïr continue, contrairement à Rabbi Nathan, à défier le Nassi et finit par quitter le Sanhédrin. Il s’établit alors à Tibériade [16] où il rencontre, selon la tradition, son ancien maître Elisha ben Avouya.
La fin de sa vie est endeuillée par la perte en un jour de 2 de ses fils bientôt suivie de celle de sa femme. Retourné en Asie Mineure [17], il y décède, en demandant à ses disciples de l’enterrer sur la côte faisant face à celle de la Judée, afin que la mer qui lave la terre de mes pères touche aussi mes os.
Rabbi Meïr est l’une des autorités les plus souvent citées dans la littérature tannaïtique. Poursuivant les efforts de thématisation de la Loi orale entrepris par Rabbi Akiva, il transmet la plupart des lois compilées par son disciple Juda Hanassi dans la Mishna.
Il se montre fort prudent dans la déduction de lois par l’exégèse [18], considérant les règles herméneutiques de Rabbi Ishmaël comme peu fiables et celles de Rabbi Akiva à partir de juxtaposition de passages ou de détails typographiques comme infondées. La validité des lois devrait, selon lui, être mesurée à l’aune de la raison mais c’est paradoxalement du fait de sa puissance dialectique que la plupart de ses décisions ne prennent pas force de loi. Il était en effet capable, selon le Talmud, de donner 150 raisons pour décréter un objet pur et autant pour le déclarer impur ; dès lors, il était souvent difficile de déterminer quel enseignement rapporté en son nom correspondait à sa véritable opinion.
Notes
[1] La Mishna est la première et la plus importante des sources rabbiniques obtenues par compilation écrite des lois orales juives, projet défendu par les pharisiens, et considéré comme le premier ouvrage de littérature rabbinique. La Mishna est écrite en hébreu. Le terme Mishna fait à la fois référence à l’ouvrage recensant l’opinion et les conclusions des rabbins de l’époque on parle alors de La Mishna et aux conclusions des rabbins elles-mêmes on parle alors d’une ou des mishnayot (pluriel de mishna). Elle comporte six ordres, eux-mêmes divisés en traités. Chaque traité comporte plusieurs chapitres. Il est d’usage de faire référence à une Mishna par : le nom du traité, suivi du numéro du chapitre, lui-même suivi du numéro de la mishna. Les auteurs sont les « Tannaïm » ou répétiteurs, car ils « répétaient » les traditions apprises de leurs maîtres.
[2] 2ème siècle
[3] La révolte de Bar Kokhba (132/135) ou seconde guerre judéo-romaine, est la seconde insurrection des juifs de la province de Judée contre l’Empire romain, et la dernière des guerres judéo-romaines. Certaines sources la mentionnent comme la troisième révolte, en comptant les émeutes de 115-117, connues sous le nom de guerre de Quietus, écrasées par le général Lusius Quietus qui a réprimé ces révoltes en Adiabène, à Édesse et en Assyrie, puis en Syrie et en Judée
[4] L’Anatolie ou Asie Mineure est la péninsule située à l’extrémité occidentale de l’Asie. Dans le sens géographique strict, elle regroupe les terres situées à l’ouest d’une ligne Çoruh-Oronte, entre la Méditerranée, la mer de Marmara et la mer Noire, mais aujourd’hui elle désigne couramment toute la partie asiatique de la Turquie
[5] L’apostasie (du grec ancien (apostasis), « se tenir loin de ») est l’attitude d’une personne, appelée apostat, qui renonce publiquement à une doctrine ou une religion.
[6] Le scribe désigne dans l’Égypte antique un fonctionnaire lettré, éduqué dans l’art de l’écriture et de l’arithmétique. Omniprésent comme administrateur, comptable, littérateur ou écrivain public, il fait fonctionner l’État de Pharaon au sein de sa bureaucratie, de son armée ou de ses temples. Le scribe royal domine l’administration centrale. Les scribes supérieurs font partie de la cour de pharaon, ils ne paient pas d’impôts et n’ont pas d’obligations militaires.
[7] La Babylonie était une satrapie centrale de l’Empire perse, abritant d’importantes villes comme la capitale de l’empire, Babylone, depuis le 6ème siècle av. .jc. C’est dans sa capitale qu’a eu lieu le premier partage de l’empire d’Alexandre après sa mort en 323. Elle est une région située dans le sud-est de l’Asie Mineure. Selon Strabon, la Babylonie a pour bornes la Susiane à l’est, la péninsule arabique à l’ouest et la Mésopotamie au nord. La Babylonie est traversée par l’Euphrate du nord au sud, jusqu’au Golfe Persique, ce qui correspond au sud de l’Irak actuel. La capitale de cette satrapie est Babylone.
[8] Ousha était une ville de Galilée occidentale, située entre les villes actuelles de Kiryat-Ata et de Shefa Amr en Israël. Le Sanhédrin y a été transféré depuis Yavné à 2 reprises, au 5ème siècle (vers 135). Le fait qu’il s’y soit fixé jusqu’à sa dissolution, à l’époque de Hillel II, indique la suprématie spirituelle que la Galilée remporta sur la Judée, après que celle-ci fut massivement dépeuplée à la suite des guerres menées par Hadrien. De nombreux disciples de Rabbi Akiva, dont Juda ben Ilaï, en sont originaires ou y ont résidé.
[9] La Galilée est souvent citée dans l’Ancien Testament, et sa partie septentrionale évoquée comme "la Galilée des Gentils" dans le Nouveau Testament. Elle est décrite par Flavius Josèphe qui évoque son histoire, son peuplement sa géographie, et lui donne deux parties : la Galilée supérieure, en grande partie peuplée de Gentils, et la Galilée inférieure, en grande partie peuplée de Juifs. Son nom de Galilée pourrait venir d’un peuplement celte, comme plus au nord la Galatie. Elle recouvrait avant la Captivité les territoires des tribus d’Issacar, de Zabulon, de Nephthali et d’Asher. Comme les Galiléens étaient de bons cultivateurs, plantant des figuiers, des oliviers, des noyers, des palmiers, des habiles artisans et de bons pêcheurs, la Galilée était prospère avec 400 villes, certaines très peuplées.
[10] Le Sanhédrin est l’assemblée législative traditionnelle du peuple juif ainsi que son tribunal suprême qui siège normalement à Jérusalem. Son nom n’est pas d’origine hébraïque mais dérive du grec sunédrion, signifiant « assemblée siégeante ». Composé de 71 sages experts en Loi Juive, il doit comporter 23 membres pour décider en matière judiciaire ; il est alors nommé petit sanhédrin et siège dans les principales villes.
[11] Yavné ou Yabné ou Yabneh est une ville du District centre d’Israël.
[12] Hakham est un terme désignant une personne cultivée et instruite, qu’elle soit ou non juive. Le terme n’est généralement pas employé dans le judaïsme rabbinique post-talmudique, qui lui préfère le terme de rav pour désigner un homme versé dans la Torah. Il est en revanche abondamment utilisé dans le karaïsme, un mouvement juif scripturaliste, opposé au judaïsme rabbinique.
[13] président du Sanhédrin
[14] Tel Beït-Shéan est une élévation naturelle, proche de la ville actuelle de Beït-Shéan en Israël. Depuis l’âge du bronze, l’installation sur les parties surélevées de la région permet aux habitants d’avoir la mainmise sur la vallée en contrebas et de prévenir toute attaque potentielle ennemie. C’est la seule ville de la Décapole située à l’ouest du Jourdain. Au 1er siècle, elle est appelée Scythopolis par l’écrivain juif Flavius Josèphe, alors que Pline l’Ancien la nomme Nysa.
[15] Emmaüs ou Nicopolis, est un site archéologique de Israël situé à environ 30 km à l’ouest de Jérusalem à la frontière entre les monts de Judée et la vallée d’Ayalon, près de l’endroit où la route menant de Jaffa à Jérusalem, se divise en deux : la voie du nord (par Beït-Horon) et celle du sud (par Kiryat-Yéarim). L’importance de la localité a varié au cours des siècles ; du 3ème au 7ème siècle c’était une ville.
[16] Tibériade est la capitale de la Galilée, dans le nord d’Israël. C’est une ville historique et touristique réputée. La cité antique est située dans la partie sud de l’agglomération d’aujourd’hui.
[17] L’Anatolie ou Asie Mineure est la péninsule située à l’extrémité occidentale de l’Asie. Dans le sens géographique strict, elle regroupe les terres situées à l’ouest d’une ligne Çoruh-Oronte, entre la Méditerranée, la mer de Marmara et la mer Noire, mais aujourd’hui elle désigne couramment toute la partie asiatique de la Turquie
[18] L’exégèse biblique est une exégèse, étude approfondie d’un texte et en particulier d’un texte sacré, appliquée à la Bible. On appelle exégète une personne qualifiée pour ce type de travail. Le Talmud, qui regroupe la Michna (les lois) et la Guemara (commentaires exégétiques) fait lui-même l’objet d’études et d’analyses, c’est-à-dire d’exégèse. L’exégèse juive ne s’arrête donc pas avec la rédaction du Talmud, mais continue pendant le Moyen Âge et la Renaissance.