Xi Kang est la figure centrale du groupe des Sept Sages de la forêt de bambous [1]. Haut dignitaire, le plus grand poète et le philosophe le plus célèbre de son temps.
Après la fin de l’empire unifié des Han [2], il est l’un des premiers poètes à manifester l’intérêt grandissant pour le taoïsme [3]. Musicien, Xi Kang a aussi écrit un traité sur la musique [4].
Xi Kang, qui a rédigé des œuvres parmi les plus marquantes de la logique et de la dialectique chinoise médiévale, s’est consacré surtout à la réflexion sur les moyens d’atteindre l’immortalité selon l’angle taoïste [5], qui peut être atteinte par des réflexions sur la nature du dao, ou encore la pratique d’une musique libérant l’esprit des émotions et contraintes extérieures.
Étant lié maritalement avec le clan royal au pouvoir des Wei [6], il refusa un poste proposé par Sima Zhao transmis par son ancien ami Shan Tao le doyen du groupe des Sept Sages de la forêt de bambous. Son refus coïncida avec une lettre restée fameuse dans laquelle il annonçait à Shan Tao leur rupture définitive. Il fut exécuté sur ordre de Sima Zhao, mais joua de la cithare (qin) jusqu’au dernier instant.
L’année suivante, en 263, Sima Zhao envahissait le royaume de Shu-Han [7] et recevait, peu de temps après, la soumission de l’Empereur Liu Shan.
Il est né dans une famille riche et puissante, étroitement liée à la famille impériale. Son père est mort alors que Xi Kang n’était qu’un bébé, il a donc été élevé par sa mère et son grand frère qui l’ont un peu laissé faire ce qu’il voulait pendant l’enfance. Il a laissé quelques mots sur son enfance : il aurait suivi ses penchants naturels : une inaction considérable. Mais cela ressemble beaucoup à une apologie taoïste de sa vie, rétrospectivement cohérente depuis son point d’arrivée à l’âge mûr. Ayant vécu dans une famille de lettrés confucianistes [8] il a eu tous les livres canoniques autour de lui et en a profité pour les lire et les connaître parfaitement, très tôt. Son frère nous apprend qu’il était un génie dès l’enfance et qu’il a tout appris tout seul, sans maître.
La maison ancestrale se trouvait au Nord-Ouest de l’Anhui [9], dans un des centres de la révolte des Turbans Jaunes [10]. Il est donc très probable qu’il ait eu aussi une bonne connaissance du taoïsme populaire qui animait cette révolte et qui avait eu une influence profonde dans le pays. Mais, par ailleurs, le taoïsme avait de nouveau la faveur des lettrés depuis environ un siècle. Ce fut la rencontre de ces deux faits qui aiguillèrent l’autre part de ses études.
Jeune adulte il parviendra au mandarinat du septième degré [11] avec la nécessité de devenir fonctionnaire actif comme son père et ses parents. Son frère sera sieou-ts’ai [12] et aura un poste néanmoins élevé, mais avec un sens des responsabilités et des traditions tout à fait confucianistes, ce qui lui fera accepter de partir à la guerre quand on le lui commandera. Xi Kang, préparé à une vie contemplative et amoureux de la vie, ne se soumettrait pas aux traditions.
Après qu’il a épousé une princesse impériale peu avant 248 il reçoit un poste honorifique et un traitement en conséquence qui lui permettra de vivre sans travailler. Il règne alors dans le pays de Wei, comme dans toute la Chine, une extrême confusion et vivre à la cour ou s’engager au service de tel ou tel risque fort de conduire rapidement à une mort certaine.
Il déménage alors au Nord de la capitale Luoyang [13] dans le district de Shanyang [14]. Et c’est dans cette demeure qu’il se retire avec ses amis. Ce sera le lieu des causeries pures qui les rendront célèbres. C’est aussi le lieu de ses recherches taoïstes de Longue Vie, et il s’y livra de plus en plus intensément.
Il y jouait du qin, cette cithare qu’il avait choisi parce qu’elle était la plus apte à le calmer. Dans son traité sur le qin il développe certaines idées en rupture radicale avec le confucianisme : La musique n’a ni joie ni tristesse !. Il faut la considérer en elle-même. Et si elle a pour principe sa qualité, bonne ou mauvaise, elle n’a aucune relation avec la joie ou la tristesse. D’autre part puisque l’on trouve des traditions musicales différentes dans les différentes régions, et que l’on peut ainsi se méprendre en trouvant joyeuse une musique de célébration funèbre, il faut accepter la variabilité de la musique et ne pas la juger selon des critères moraux prétendument universels [15].
Le refus de servir l’État et de telles pensées, exprimées par écrit et diffusées, tout cela était punissable par la peine capitale. Et des accusations explicites furent rédigées en ce sens par les confucianistes.
Son attitude et ses convictions, explicites dans ses écrits conservés, nous permettent de comprendre ce qui était en marche dans la culture de ce 3ème siècle, et comment les milieux lettrés étaient prêts à s’engager dans une expérience religieuse fervente comme ce fut le cas à grande échelle avec le bouddhisme [16], qui se manifesta en Chine en gagnant en visibilité dans toute la population dès le début du 4ème et ce jusqu’au 9ème siècle.