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L’histoire pour le plaisir

Xi Kang ou Ji Kang

samedi 24 août 2024, par lucien jallamion

Xi Kang ou Ji Kang (223-262)

Poète, musicien et penseur chinois de l’époque des Trois Royaumes

Xi Kang est la figure centrale du groupe des Sept Sages de la forêt de bambous [1]. Haut dignitaire, le plus grand poète et le philosophe le plus célèbre de son temps.

Après la fin de l’empire unifié des Han [2], il est l’un des premiers poètes à manifester l’intérêt grandissant pour le taoïsme [3]. Musicien, Xi Kang a aussi écrit un traité sur la musique [4].

Xi Kang, qui a rédigé des œuvres parmi les plus marquantes de la logique et de la dialectique chinoise médiévale, s’est consacré surtout à la réflexion sur les moyens d’atteindre l’immortalité selon l’angle taoïste [5], qui peut être atteinte par des réflexions sur la nature du dao, ou encore la pratique d’une musique libérant l’esprit des émotions et contraintes extérieures.

Étant lié maritalement avec le clan royal au pouvoir des Wei [6], il refusa un poste proposé par Sima Zhao transmis par son ancien ami Shan Tao le doyen du groupe des Sept Sages de la forêt de bambous. Son refus coïncida avec une lettre restée fameuse dans laquelle il annonçait à Shan Tao leur rupture définitive. Il fut exécuté sur ordre de Sima Zhao, mais joua de la cithare (qin) jusqu’au dernier instant.

L’année suivante, en 263, Sima Zhao envahissait le royaume de Shu-Han [7] et recevait, peu de temps après, la soumission de l’Empereur Liu Shan.


Il est né dans une famille riche et puissante, étroitement liée à la famille impériale. Son père est mort alors que Xi Kang n’était qu’un bébé, il a donc été élevé par sa mère et son grand frère qui l’ont un peu laissé faire ce qu’il voulait pendant l’enfance. Il a laissé quelques mots sur son enfance : il aurait suivi ses penchants naturels : une inaction considérable. Mais cela ressemble beaucoup à une apologie taoïste de sa vie, rétrospectivement cohérente depuis son point d’arrivée à l’âge mûr. Ayant vécu dans une famille de lettrés confucianistes [8] il a eu tous les livres canoniques autour de lui et en a profité pour les lire et les connaître parfaitement, très tôt. Son frère nous apprend qu’il était un génie dès l’enfance et qu’il a tout appris tout seul, sans maître.

La maison ancestrale se trouvait au Nord-Ouest de l’Anhui [9], dans un des centres de la révolte des Turbans Jaunes [10]. Il est donc très probable qu’il ait eu aussi une bonne connaissance du taoïsme populaire qui animait cette révolte et qui avait eu une influence profonde dans le pays. Mais, par ailleurs, le taoïsme avait de nouveau la faveur des lettrés depuis environ un siècle. Ce fut la rencontre de ces deux faits qui aiguillèrent l’autre part de ses études.

Jeune adulte il parviendra au mandarinat du septième degré [11] avec la nécessité de devenir fonctionnaire actif comme son père et ses parents. Son frère sera sieou-ts’ai [12] et aura un poste néanmoins élevé, mais avec un sens des responsabilités et des traditions tout à fait confucianistes, ce qui lui fera accepter de partir à la guerre quand on le lui commandera. Xi Kang, préparé à une vie contemplative et amoureux de la vie, ne se soumettrait pas aux traditions.

Après qu’il a épousé une princesse impériale peu avant 248 il reçoit un poste honorifique et un traitement en conséquence qui lui permettra de vivre sans travailler. Il règne alors dans le pays de Wei, comme dans toute la Chine, une extrême confusion et vivre à la cour ou s’engager au service de tel ou tel risque fort de conduire rapidement à une mort certaine.

Il déménage alors au Nord de la capitale Luoyang [13] dans le district de Shanyang [14]. Et c’est dans cette demeure qu’il se retire avec ses amis. Ce sera le lieu des causeries pures qui les rendront célèbres. C’est aussi le lieu de ses recherches taoïstes de Longue Vie, et il s’y livra de plus en plus intensément.

Il y jouait du qin, cette cithare qu’il avait choisi parce qu’elle était la plus apte à le calmer. Dans son traité sur le qin il développe certaines idées en rupture radicale avec le confucianisme : La musique n’a ni joie ni tristesse !. Il faut la considérer en elle-même. Et si elle a pour principe sa qualité, bonne ou mauvaise, elle n’a aucune relation avec la joie ou la tristesse. D’autre part puisque l’on trouve des traditions musicales différentes dans les différentes régions, et que l’on peut ainsi se méprendre en trouvant joyeuse une musique de célébration funèbre, il faut accepter la variabilité de la musique et ne pas la juger selon des critères moraux prétendument universels [15].

Le refus de servir l’État et de telles pensées, exprimées par écrit et diffusées, tout cela était punissable par la peine capitale. Et des accusations explicites furent rédigées en ce sens par les confucianistes.

Son attitude et ses convictions, explicites dans ses écrits conservés, nous permettent de comprendre ce qui était en marche dans la culture de ce 3ème siècle, et comment les milieux lettrés étaient prêts à s’engager dans une expérience religieuse fervente comme ce fut le cas à grande échelle avec le bouddhisme [16], qui se manifesta en Chine en gagnant en visibilité dans toute la population dès le début du 4ème et ce jusqu’au 9ème siècle.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de André Lévy, Dictionnaire de littérature chinoise, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2000 (1re éd. 1994)

Notes

[1] Les Sept Sages de la forêt de bambousont vécu pendant la période troublée des Trois Royaumes (220-280) à proximité de la capitale du royaume de Wei, Luoyang, en Chine du Nord. Ils ont laissé des poèmes et des compositions musicales mais aussi des écrits sur le taoïsme qui témoignent de fortes individualités, d’une grande sensibilité et pour l’un d’entre eux, Xi Kang, d’une remarquable sincérité dans sa foi au taoïsme naturaliste. Tous se sont éloignés du pouvoir politique et des responsabilités qu’on voulait leur confier dans cette période de guerres incessantes. Ils ont choisi de se retirer. Le refus d’un tel poste par Xi Kang a provoqué la réaction du pouvoir : il a été exécuté.

[2] La dynastie Han régna sur la Chine de 206 av. jc à 220 apr. jc. Deuxième des dynasties impériales, elle succéda à la dynastie Qin (221/206 av. jc) et fut suivie de la période des Trois Royaumes (220/265). Fondée par Liu Bang, chef de guerre d’origine paysanne révolté contre la dynastie Qin, elle compta 28 empereurs.

[3] mouvement connu sous le nom de néotaoïsme

[4] qin fu

[5] Le taoïsme est un des trois piliers de la philosophie chinoise avec le confucianisme et le bouddhisme, et se fonde sur l’existence d’un principe à l’origine de toute chose, appelé « Tao ». Plongeant ses racines dans la culture ancienne, ce courant se fonde sur des textes, dont le Tao Tö King de Lao Tseu, le Lie Tseu et le Zhuāngzi de Tchouang Tseu, et s’exprime par des pratiques qui influencèrent de façon significative tout l’Extrême-Orient, et même l’Occident depuis le 20ème siècle.

[6] Le royaume de Wei, également appelé Cao Wei, est un des royaumes qui régnaient sur la Chine pendant la période des Trois Royaumes. Avec sa capitale à Luoyàng, ce royaume fut établi par Cao Pi en 220, à partir des bases posées par son père Cao Cao. Cette dénomination apparaît en 213, lorsque les exploitations féodales de Cao Cao prennent le nom de Wei ; les historiens ajoutent souvent le préfixe Cao (du nom de famille de Cao Cao) afin de distinguer ce royaume des autres États que l’histoire de la Chine a également connus sous le nom de Wei, par exemple les précédents États de Wei durant la période des royaumes combattants, et plus tard l’État de la dynastie Wei du Nord. En 220, lorsque Cao Pi déposséda le dernier empereur de la dynastie Han, Wei est devenu le nom de la nouvelle dynastie qu’il fonda. Cette dynastie fut saisie et contrôlée par la famille Sima en 249, jusqu’à ce qu’elle fût renversée et soit devenue une partie de la dynastie Jin en 265.

[7] un des États de la période des Trois Royaumes de l’Histoire de la Chine

[8] Le confucianisme, Rùjià école des lettrés puis Rùxué enseignement des lettrés Rùxué, est l’une des plus grandes écoles philosophiques, morales, politiques et dans une moindre mesure religieuses de Chine. Elle s’est développée pendant plus de deux millénaires à partir de l’oeuvre attribuée au philosophe Kongfuzi, Maître Kong, connu en Occident sous le nom latinisé de Confucius. Après avoir été confrontée aux écoles de pensée concurrentes pendant la Période des Royaumes combattants et violemment combattue sous le règne de Qin Shi Huang, fondateur du premier empire, elle fut imposée par l’empereur Han Wudi en tant que doctrine d’État et l’est restée jusqu’à la fondation de la République de Chine en 1911. Elle a aussi pénétré au Viêt Nam, en Corée et au Japon où elle a été adaptée aux circonstances locales.

[9] L’Anhui est une province intérieure située à l’est de la république populaire de Chine dont le chef-lieu est Hefei. L’Anhui est situé en Chine de l’est, autour des bassins du Yangzi Jiang et du Huai He. Ses frontières bordent les provinces du Jiangsu à l’est, du Zhejiang au sud-est, du Jiangxi au sud, du Hubei au sud-ouest, du Henan au nord-ouest et du Shandong sur une petite section au nord.

[10] La rébellion des Turbans jaunes est une révolte paysanne majeure en Chine, à la fin du 2ème siècle. Le soulèvement &clate en 184 sous le règne de l’empereur Han Lingdi lorsque Zhang Jiao, fondateur de la secte taoïste Taiping (« grande paix »), soulève une partie de la population chinoise contre la dynastie Han, jugée décadente et corrompue. Assiégés, les Han lancent un appel à l’aide et ordonnent une campagne contre les Turbans jaunes qui se comptent par centaines de milliers. De puissants et célèbres généraux, tels que Yuan Shao, Cao Cao, Sun Jian et Ma Teng répondent à cet appel. De son côté, le général Lu Zhi recrute des volontaires. Parmi eux, Liu Bei, Guan Yu et Zhang Fei qui, selon l’Histoire des Trois royaumes, se jurent fraternité et s’en vont combattre les Turbans jaunes. Ils viennent en aide au général Dong Zhuo. Les frères de Zhang Jiao, Bao et Liang, sont battus par Cao Cao et Sun Jian. Bien que la rébellion principale ait été défaite en 185, des poches de résistances restent invaincues et des soulèvements de plus petites ampleurs émergent sporadiquement. Ce n’est qu’en 205, après 21 années de révoltes, que les Turbans jaunes sont définitivement vaincus. La rébellion, qui tire son nom de la couleur dans laquelle les rebelles se drapaient, a été particulièrement importante dans l’histoire de la Chine comme dans celle du taoïsme, à cause des collusions nombreuses entre rebelles et sociétés taoïstes secrètes.

[11] tchong-san ta-fou

[12] bachelier

[13] Luoyang, ou Loyang est une ville-préfecture de la province du Henan en Chine. On y parle le dialecte de Luoyang du mandarin zhongyuan. Située sur le Fleuve Jaune, c’est l’une des quatre capitales historiques de la Chine.

[14] Le district de Shanyang est une subdivision administrative de la province du Henan en Chine. Il est placé sous la juridiction de la ville-préfecture de Jiaozuo.

[15] confucéens

[16] Le bouddhisme est, selon le point de vue occidental, une religion (notamment une religion d’État) ou une philosophie, voire les deux, dont les origines sont en Inde au 5ème siècle av. jc à la suite de l’éveil de Siddhartha Gautama et de son enseignement. Le bouddhisme est né en Inde à peu près à la même époque que Mahâvîra, qui rendit plus populaire le jaïnisme, avec lequel il partage une certaine tendance à la remise en cause de l’hindouisme (en particulier de la caste sacerdotale des brahmanes) tel que ce dernier était pratiqué à l’époque (6ème siècle av. jc). Le bouddhisme a repris et aménagé beaucoup de concepts philosophiques de l’environnement religieux de l’époque (tels que dharma et karma, par exemple).